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Dossiers Séries

Derrick

Plus qu’une légende dans ce dossier, puisque nous vous parlons de l’inspecteur de police teuton le plus neurasthénique et « escargotique » de la télévision, le Rudolph Valentino de la ménagère de plus de 50 ans qui, derrière ses lunettes en écaille, ne réussi pas totalement à cacher les valises qu’il porte en dessous des yeux. Voici donc un épisode historique dans l’histoire d’AFDS.tv, consacré présentement à l’inspecteur Derrick!

Derrick: un genre (presque) à lui tout seul

Derrick est ce qu’on appelle un « Krimi », une série policière. Fin des années ’60, afin de faire face aux programmes américains du vendredi soir, la ZDF met en place ses propres séries policières. C’est ainsi que Le Renard et Tatort prennent le chemin du petit écran. Der Kommissar (1969) est la première série policière entièrement germanophone. Elle est écrite par Herbert Reineker. Les 97 épisodes mettent en scène un flic intuitif, attentif et paternaliste joué par l’acteur Erik Ode.

En 1974, le même Reineker invente un certain Stephan Derrick pour remplacer un Erik Ode vieillissant. Après le pilote, Waldweg, la série semble plutôt mal partie. Le magazine « Der Spiegel » trouve les dialogues de Reineker « aussi originaux que la météo« . Un autre, « Der Zeit », considère que Derrick est « le plus mauvais commissaire qui soit« .

Et pourtant, l’histoire nous l’a appris, Derrick va durer et perdurer pendant 24 ans, rendez vous compte! 15 de plus que Dynastie!

Herbert Reineker

Adolescent, Herbert Reineker avait deux passions: l’écriture et le national-socialisme. il a été rédacteur en chef du Landesjungenplefe Zeitschrift. En 1934, il passe au Jugendvolk. Sous le nazisme, il devient journaliste inféodé à la doctrine du 3ème Reich. Mais pendant la guerre, il perd sa famille et, avec elle, ses illusions.

Il se remet à l’écriture en 1948. Son œuvre est fondée sur la lutte contre le chaos, le sentiment que chacun est un meurtrier en puissance. Les valeurs qu’il développe sont opposées à l’anarchie sociale. En 1963, il devient scénariste pour la télévision, surtout de séries policières. « Reineker veut créer un film policier sans effet spectaculaire, sans horreur, mais avec de la psychologie ». Après l’arrêt de Derrick, Reinecker a notamment créé « Siska ». Il décède en janvier 2007 à l’âge de 92 ans.

Stephan Derrick

En 1973, les journaux allemands se demandent donc qui va bien pouvoir succéder à Erik Ode, la star de « Der Kommissar ». Le personnage de Derrick est bel et bien conçu dans sa lignée. C’est une copie mise au goût du jour. Le transfert se fait grâce à Harry Klein, le benjamin de l’équipe de la série précédente. Il vient d’être transféré dans un autre bureau, celui de Stephan Derrick.

Derrick est grand, il a des yeux globuleux, des cheveux blancs plaqués sur le crâne (c’est une perruque, d’ailleurs). Il est toujours vêtu d’un imperméable. Il est d’un caractère vif et déterminé. Il est d’un naturel plutôt calme. Même s’il peut s’énerver vite (!), il ne se bat jamais. Il est rassurant, compréhensif. Il traite chacun avec dignité, quelle que soit sa position sociale (bourgeoise ou prostituée). Mais il peut se montrer autoritaire, obtus. Il aime l’ordre (notamment dans son bureau), le vocabulaire raffiné. Il est tout entier pour son métier. Il est toujours prêt à partir. Même s’il regarde un match de football à la télévision, même s’il est au spectacle.

Bref, Derrick est extrêmement professionnel… Mais a cent lieues de la fantaisie… Pas d’humour, pas d’imprévu chez cet homme. Il ne rit jamais, mais est ironique. Il est souvent pessimiste, attristé par un monde dominé par le crime institutionnalisé. Quand il se pose des questions sur la nature humaine, il appelle Dieu.

La série décrit surtout la vie professionnelle de Derrick et pas sa vie privée. D’ailleurs, les scénaristes ont totalement vidé ce pan du personnage. Il a été marié, mais il est divorcé et depuis il prône les valeurs du célibat. Il n’a finalement plus aucune vie intime, à part quelques aventures marginales. Il sort avec Renate Konrad et Ariane, mais il n’est pas assez disponible pour elles. Son métier prend toute la place.

Ce côté professionnel se remarque même dans le traitement des affaires. Le scénariste s’attache surtout (pour ne pas dire toujours) au côté froid, objectif du dossier et pas au côté sentimental. La question est « qui est le coupable? » et pas « pourquoi en est-il arrivé là? »

L’amitié de Derrick pour Harry Klein

Ces deux hommes se connaissent depuis 24 ans. Ils travaillent ensemble et sont devenus amis. Ils mangent ensemble, travaillent ensemble, rient ensemble. Ils sont très complices. Ils se consultent l’un l’autre pour résoudre les affaires.

Mais on le perçoit aussi à travers les regards de connivence, les mains sur les épaules, les éclats de rire. Harry complète parfois les interrogatoires commencé par Derrick… Comme Derrick, il est célibataire, même s’il paraît plus séducteur, plus volage que son collègue (toutes proportions gardées). Ils n’ont aucun passé, aucun avenir et les téléspectateurs s’en fichent. Les sondages menés pour la chaîne ZDF ont prouvé que les téléspectateurs ne voulaient pas de femmes dans la vie de Derrick ou d’Harry.

L’évolution et l’invariant

Derrick n’est pas statique. Il évolue avec l’âge (il vieillit de 24 ans). Il devient, par exemple, beaucoup plus moralisateur. Il fait moins de cascades (encore une fois, tout est relatif!), il y a moins d’effets de surprise qu’au début. Il est plus proche du citoyen (il regarde le football à la télé!). Mais TOUT le reste ne bouge pas ou si peu. Son bureau n’a jamais été redécoré (il l’était au départ avec un mobilier récupéré des locaux de la police munichoise). Il est toujours aussi vieillot, calme, austère, désuet (il n’y a pas d’ordinateur, de fax,…).

Il roule toujours dans le même type de voitures. On parle toujours de sa BMW et Derrick est assez fidèle. Attention, les deux compères ont déjà roulé dans une Golf ou une Audi. Mais ce sont surtout les BMW qui le satisfont. En tout, elles ont été une soixantaine. Aucune n’a été endommagée! En passant, notez que la célèbre tirade « Harry va chercher la voiture » n’a jamais été prononcée en 24 ans de tournage! Pourtant c’est passé dans le langage courant des Allemands.

Et puis, les enquêtes ne deviennent pas plus sulfureuses, plus exotiques. Elles se déroulent toujours dans le même milieu, etc…

Les personnages secondaires dans Derrick

Dans les premiers épisodes, Derrick et Harry sont secondés par 3 agents de la Kripo: Echterding (Gerhard Borman), Schröder (Günther Stoll) et Berger (Willy Schäfer). Stoll meurt en 1977 et le rôle de Schröder n’est pas reconduit. Borman s’éloigne discrètement.

Reste Berger, le compagnon fidèle. L’homme qui répond au téléphone, ouvre la porte et introduit les témoins, c’est lui. Un rôle plutôt réduit, mais qui arrangeait beaucoup Willy Schäfer. Excellent acteur de doublage, il est totalement apeuré par l’idée de jouer la comédie, parce qu’il oublie son texte. La seule fois où il a eu une longue tirade à prononcer, il avait son texte sur le bureau. Il est souvent sur place avant Derrick et Harry, et il a déjà rassemblé les premiers éléments essentiels à l’enquête (nom de la victime, témoins, heure et modalités du crime).

A part eux, il faut bien avouer que les personnages sont assez stéréotypés. Les artistes sont toujours décontractés, les intellectuels sont vêtus de sombre, les étrangers sont inquiétants. La série insiste sur le lourd passé des personnages et sur l’impossibilité d’échapper à sa propre histoire: un meurtrier reste un meurtrier, une prostituée reste sur le trottoir.

Enquêtes

Derrick enquête principalement sur des crimes qui appartiennent à trois catégories:

  • le meurtre d’origine pathologique, où l’assassin s’exécute par plaisir;
  • le meurtre psychologique qui vise à combler un manque, à venger. Il est commis par haine, jalousie, …;
  • le meurtre qui s’inscrit dans une problématique sociale plus large: espionnage industriel, drogue, alcoolisme, …

Il y a très peu de crimes gratuits dans Derrick. C’est toujours l’idée d’opposition au chaos: le crime oui, mais sans explication, c’est impossible pour Reineker.

Derrick est le représentant de la loi et de la morale, il se doit de rétablir l’ordre. Aucun crime ne peut rester impuni. Pour résoudre l’énigme, Derrick utilise surtout le raisonnement. Il fait appel à la réflexion pour donner sens aux indices récoltés sur le lieu du meurtre. L’occasion de longs dialogues entre lui et Harry, des images où ils réfléchissent.

Ensuite, les inspecteurs doivent apporter des preuves pour étayer leurs affirmations. Derrick souffre de l’angoisse de l’erreur, aucun suspect ne devient coupable sans preuve tangible. Durant cette phase, la police dispose de moyens techniques d’enquête qui viennent compléter le raisonnement. L’interrogatoire, la confrontation, la mise à l’épreuve, la prise d’empreintes digitales, les autopsies, les reconstitutions,…

Derrick utilise tout ce qui est en son pouvoir pour confondre le coupable. Derrick procède toujours de la même manière. Il rencontre au moins une fois toutes les personnes qui pourraient être impliquées dans un crime. Il balaie large pour comprendre le contexte de l’assassinat, la victime et les personnes qui gravitaient autour d’elle. C’est en comprenant le pourquoi qu’on peut comprendre qui. C’est pourquoi il pose énormément de questions. Et, comme il se fait rapidement une idée sur l’identité de l’assassin, elles sont parfois lourdes de sous-entendus.

Dans les tous premiers épisodes, le coupable était connu dès le début. Le jeu consistait à suivre le cheminement de l’inspecteur jusqu’au coupable (comme dans « Columbo »). Mais le public allemand ne suit pas et la formule change après le 5ème rendez-vous.

Un épisode est divisé en deux parties. La première relativement brève expose le crime, la seconde suit l’enquête. Entre différentes séquences, les dialogues entre Harry et Derrick sont très importants. Ils se déroulent généralement dans la voiture. Ils ont plusieurs fonctions. D’abord ils permettent de faire l’économie de décors en racontant une scène plutôt qu’en la montrant en image. Ils facilitent aussi la compréhension du spectateur car ils répètent ce que le téléspectateur vient de voir. Ils révèlent la personnalité des personnages et leur amitié. Enfin, ils font progresser le drame.

Derrick s’inscrit dans la lignée des policiers non-violents. L’action d’un épisode est plutôt statique, l’intrigue réduite, les artifices techniques beaucoup plus rares que dans « Columbo ». La psychologie des personnages ou le climat du milieu traversé est plus important que la clé de l’énigme.

Même dans l’image, Derrick est une série austère. Les décors sont tristes, gris, il fait toujours nuageux à Munich. Tout se passe dans la petite bourgeoisie bavaroise, chez des gens ordinaires, dans un univers ordinaire, avec des criminels sans grande envergure. La réalisation n’est pas plus fantaisiste. Tout est à l’image de ces zooms qui révèlent un visage surpris (et oui comme dans les soap opéra bon marchés des USA).

Derrick tire sa révérence

Il fallait bien que cela arrive un jour. En 1998, l’inspecteur bénéficie d’une promotion à Europol, mais il doit quitter Munich pour Bruxelles. Reineker, 82 ans au moment de l’écriture de cet ultime épisode, n’a pas eu le cœur de faire mourir son inspecteur. Sur 24 ans de série, 281 épisodes, Derrick aura démasqué 282 coupables. Seuls 3 meurtriers lui ont échappé. Il a vu 344 cadavres. Et tout cela, en ne dégainant son arme que 10 fois!

Plus de 10 millions d’Allemand ont suivi « Le Cadeau d’Adieu » diffusé le 16 octobre 1998 sur la ZDF. Pour l’occasion, la chaîne a mis les petits plats dans les grands en programmant une soirée spéciale animée par l’animateur vedette, Thomas Gottschalk, en compagnie de Fritz Wepper. Le décor de cette émission était l’une de ces villas bourgeoises qui avait souvent vu débarquer l’inspecteur. Autour de Horst Tappert, les comédiens les plus récurrents s’étaient réunis. Champagne!

Quand le clap de fin est mis sur pellicule le 17 décembre 1997, la rumeur court déjà depuis un petit temps. Ce dernier épisode est plus « philosophique » (encore moins d’action, quoi!). Il ne comporte aucun suspens, mais est l’occasion de multiples clins d’yeux. Le réalisateur est celui du pilote. Le premier personnage secondaire est tenu par le fils de celui qui apparaissait dans ce premier épisode. Derrick prononce un discours d’adieu. Dans l’assistance, les fans ont pu reconnaître Leo Kress, le héros du Renard. « Je vais enfin pouvoir enlever mon toupet« , lance Horst Tappert.

Mais pourquoi diable arrêter ce concept qui marche si bien? D’abord parce que l’équipe vieillit. Comédiens, producteurs, scénariste sont au moins septuagénaires. Ils n’ont pas changé depuis le début. Le plus jeune, Fritz Wepper, commence à s’ennuyer ferme. Et puis les tensions se multiplient au sein du groupe. Horst Tappert et Herbert Reineker surtout ne s’entendent plus du tout. Tappert trouve que Reineker est devenu trop philosophique. Reineker en veut à Tappert de lui avoir « volé » son personnage.

Au final, il n’en reste pas moins que Derrick est la plus grande réussite commerciale de la télévision allemande. 102 pays diffusent le Krimi. Derrick compte plus d’un demi-milliard de fans. Son plus gros fan-club est implanté aux Pays-Bas. Les membres passent des soirées entières à réciter les dialogues entre Derrick et Harry (!!!). Le président de la police de Shanghai recommande à ses agents en formation de suivre la série allemande.

Incompréhensible!

Il n’y a pas d’action, pas de sexe, pas de violence. Les intrigues sont relativement compliquées et réclament un minimum d’attention. Les critiques détestent et dénoncent les côtés pesants et normatifs du flic munichois.

Certains prétendent que les téléspectateurs aiment Derrick parce qu’il incarne une certaine image rassurante de l’Allemagne. En Allemagne pourtant, Derrick n’est pas perçu comme l’archétype. « On le regarde en Allemagne avec une distance ironique. On ne le prend pas vraiment au sérieux« , déclare Thomas Wörtche, le pape allemand de la littérature policière.

En quelques mots...

Sarah Sepulchre
Alexandre Marlier
Sophie Sourdiaucourt

Avis global

Il est allemand, policier et il est l'idole des maisons de retraite.

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Derrick

La Fiche Série

Titre Original:
Derrick
Thème musical:
Derrick Theme par Les Humphries
Durée:
281 épisodes de 60 minutes, soit 24 saisons
Pays d’origine:
Allemagne
Chaîne(s) de 1ère diffusion:
ZDF
Période(s) de diffusion:
Du 20 octobre 1974 au 16 novembre 1998.
Genres:
Krimi, Policier
Créé par:
Herbert Reineker
Produit par:
ZDF
Horst Tappert:
Stephan Derrick
Fritz Wepper:
Harry Klein
Willy Schäfer:
Willy Berger
Günther Stoll:
Agent Schröder
Gerhard Borman:
Agent Echterding

Bibliographie

  • BOULAY, Anne, Que fait la polizeï ? Un essai sur Derrick, le célèbre feuilleton allemand, in Libération, 17 juin 1999.
  • DELATTRE, Lucas, L’extravagant succès de Derrick, In Le Monde, 23 et 24 février 1997.
  • SANDOZ, Thomas, Derrick, l’ordre des choses, ED de l’Hèbe, Suisse, mars 99, 380 p.
  • TAPPERT, Horst, Derrick et moi. Mes deux vies, Ed de Fallois, Paris, 1999, 297 p. Traduit de l’allemand par Isabelle Hausser-Duclos. Titre original : Meine zwei Leben.
  • VAN VAERENBERGH, Olivier, Derrick, le plus grand des  » krimis « , in Le Soir, 14 juillet 1999.

Crédits Photos:
ZDF

Sarah Sepulchre

Sarah Sepulchre est professeure à l’Université de Louvain (UCL, Belgique). Ses recherches portent sur les médias, les fictions, les cultures populaires, les gender studies et particulièrement sur les représentations, les liens entre réalité et fiction. Sa thèse de doctorat était centrée sur les personnages de séries télévisées.
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