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Les Entretiens d'AFDS

Thierry De Smedt

Thierry De Smedt était l’animateur de la marionnette de Groucha, entre autres. Il se souvient de l’époque Téléchat et il en analyse le phénomène avec nous. Thierry De Smedt est maintenant professeur au Département de communication de l’Université de Louvain en Belgique où il donne des cours d’analyse des médias (C’est donc mon collègue et c’est pour cela que je le tutoie!).

Sarah Sepulchre: qu’est-ce que tu faisais sur Téléchat?

Thierry De Smedt: en réalité, j’ai eu trois rôles. Je ne les dis pas dans l’ordre. Le rôle le plus visible était marionnettiste. Mais on travaillait sur des bandes enregistrées au préalable à Paris. Et justement, mon rôle précédent consistait à prendre les enregistrements faits à Paris avec une kyrielle d’excellents comédiens, et de choisir les prises qui étaient les meilleures. Je devais ensuite les monter, enlever ou rajouter des silences… A la fin, je gardais mêmes des hésitations parce que cela nous amusait de jouer sur des voix qui bégayaient. Donc il fallait préparer les bandes.

Et mon troisième rôle… Une fois que les tournages étaient terminés, je travaillais sur le décor sonore. Pas les musiques, J’en ai fait quelques unes, mais ce n’était pas mon rôle. Je travaillais sur la construction de l’univers sonore. Les voix étaient enregistrées dans un studio silencieux, les tournages ne concernaient que l’image, il fallait donc, à chaque situation, créer un univers qui suggérait l’endroit où l’on se trouvait. Il fallait donner une personnalité sonore à Téléchat, comme les décors et les images avaient un style visuel. On utilisait des bruitages et des choses comme ça.

S.Se.: c’était une caractéristique de l’équipe, tout le monde avait plusieurs rôles ou c’était une caractéristique qui t’était propre?

T.D.S.: je pense que c’était une caractéristique de l’équipe. Les gens qui ont réalisé Téléchat… Je ne parle pas de Roland Topor qui était à la source de l’idée et de l’écriture, même s’il était assez souvent sur le plateau de tournage et qu’il réfléchissait avec nous… Je parle des fabricants de Téléchat. C’étaient des gens de « l’école IAD », de l’Institut des Arts de Diffusion qui est une école de formation cinématographique et des métiers du spectacle en Belgique (NDLR: à Louvain-la-Neuve).

Cette école avait une tradition très différente de celle de l’autre école belge, l’INSASS (NDLR: à Bruxelles). L’INSASS était fort marquée par la vague Delvaux et par une recherche d’hyper professionnalisation de chacun. Au contraire, l’IAD, c’était un peu à l’image d’internet. Ca fonctionnait en réseau. C’est à dire, non pas que tout le monde se mêlait du travail des autres, mais qu’on tentait d’avoir une forte osmose. Tout le monde avait le droit de proposer une idée s’il pensait qu’elle était bonne. Avec le risque de paraître ridicule si quelqu’un prouvait par A + B que c’était mauvais. Et donc, il y avait une ambiance où on se sentait assez impliqué à ce qu’il fallait faire.

Du côté des marionnettistes, peut-être que c’était aussi dû au fait qu’on n’était pas des marionnettistes d’académie, mais des marionnettistes de spectacle. Certains d’entre nous avaient passé des milliers d’heures sur scène. Moi, j’avais 10 ans de marionnettes, mais certains en avaient bien plus. C’étaient des gens de la balle. Dans ce monde-là quand un spectacle est à faire, on monte sur une échelle, on branche les prises… Il n’y a pas d’un côté les culturels et de l’autre les techniciens. Il fallait faire quelque chose et on le faisait.

Puis, au fond chaque séquence était un véritable défi. C’était des marionnettes difficilement maniables et il fallait tout inventer ensemble au moment même. De temps en temps, il y avait une vague de découragement et quelqu’un disait: « Ca ne marchera pas, ça ne marchera jamais ». C’était la phrase à ne jamais prononcer. Notre devise, c’était: « Comment faire pour que ça marche? ».

S.Se.: vous y êtes toujours arrivé?

T.D.S.: non, je ne trouve pas. Mais il faudrait demander à tous les membres de l’équipe. Je crois que c’est un métier où on n’est jamais vraiment fier de ce qu’on fait. J’ai très vite le sentiment que: « C’était pas ça, on ne l’a pas fait bien ». C’était assez rare qu’on soit fier.

S.Se.: est-ce que vous regardiez Téléchat?

T.D.S.: ça dépend. Moi, forcément je l’ai vu plusieurs fois. Je le chronométrais, je le regardais sous toutes ses coutures, j’allais au montage… J’étais très engagé dans la réalisation donc je le voyais beaucoup. En plus, chaque plan était tourné plusieurs fois jusqu’à ce que le résultat soit là. Donc oui, je le regardais beaucoup. Mais c’était très frustrant. La personne qui éclairait n’éclairait pas comme il l’aurait voulu. Le cameraman ne « camérait » pas comme il aurait voulu « camérer » (rires). Le réalisateur n’obtenait pas le film qu’il aurait voulu avoir.

Tout le monde était un peu frustré. Personne n’est vraiment fier du résultat. Mais quand on aime bien ce qu’on fait, on n’est jamais content. J’imagine qu’un écrivain qui finit un livre écrit le suivant pour corriger le précédent.

S.Se.: tu dis que c’était à l’époque… Les DVD viennent de sortir, quand tu les regardes maintenant, tu en penses quoi?

T.D.S.: j’ai oublié comment c’était au moment du tournage. Donc, à certains moments, je trouve ça bien. Mais généralement, toutes les frustrations remontent et je me souviens du tournage. Et je me dis ce qu’on aurait dû faire à ce moment là, qu’on aurait dû changer ça et ça.

Mais ça fait remonter des souvenirs aussi. Téléchat, c’est un paradis perdu. J’ai de l’affection pour Henri Xhonneux, le réalisateur (même si ce n’était pas toujours un homme facile, mais qui avait des côtés extraordinaires) et pour Roland Topor. Tous ces gens qui sont partis trop tôt. Revoir ce qu’on a fait, c’est aussi revivre ces départs un peu prématurés.

S.Se: tu parles de frustrations. Il faut peut-être remettre les choses dans leur époque. Est-ce que faire une série de marionnettes, c’était aussi facile à l’époque que maintenant?

T.D.S.: après Téléchat, on a encore travaillé sur le long métrage Marquis et sur deux ou trois trucs, mais après je n’en ai plus fait. Finalement les quatre ans intensifs de Téléchat m’ont fait achever mon itinéraire dans la marionnette. Par conséquent, je ne sais pas vraiment comment c’est aujourd’hui. J’ai travaillé un peu sur d’autres productions à l’époque donc je sais comment les autres travaillaient.

Sur Téléchat, on tournait en une seule caméra par exemple. Personne n’était payé et on utilisait ce qu’on avait sous la main. Chaque jour, le régisseur publiait des demandes pour deux trois jours plus tard en disant: « Il me faudrait des chaises de bureau » ou « est-ce que quelqu’un a un grille pain? ». On s’y mettait tous et on faisait une émission qui était vraiment aux antipodes de ce que les grosses télés d’état faisaient à ce moment-là. On faisait des explosions et il n’y avait jamais de pompiers.

On tournait dans une ancienne manufacture de chapeau. C’étaient des locaux pas conçus pour faire de l’audiovisuel. Et on s’installait là-dedans comme un cirque. On travaillait avec des méthodes artisanales. Gilles Brenta qui faisait les décors avait son atelier à 5 mètres du plateau. Pour faire une prise, on devait lui demander d’arrêter de scier pour qu’on entende les hauts-parleurs qui diffusaient les voix. C’était le cachet de Téléchat, on faisait une production hyper économique. C’est probablement la raison pour laquelle on tournait à Bruxelles. Je pense qu’on n’aurait jamais pu tourner pour ce prix-là à Paris.

On était dans un microcosme qui ne ressemble pas du tout à ce que pas mal d’émissions faisaient. Probablement que ce qu’on faisait dans les années ’80 ressemble un peu plus à ce vers quoi va la télévision. C’est à dire des émissions produites par des très petites équipes utilisant du matériel léger, mais sans concession sur la qualité. On refusait toute forme d’attitude trop fonctionnaire, on travaillait comme des amateurs vrais, c’est-à-dire comme des gens pas contents tant que ce n’est pas très bon. C’est vrai qu’on avait une méthode particulière. Mais elle était plus en décalage par rapport à ce qu’on faisait ailleurs que par rapport à ce qu’on fait aujourd’hui.

Il faut dire aussi qu’il n’y a plus beaucoup d’émissions de marionnettes aujourd’hui. A part Les Guignols De L’Info, il en reste peu. Et Les Guignols, c’est une véritable usine avec plus d’intervenants et des schémas de production très différents. L’électronique et l’image de synthèse ont beaucoup changé la donne.

S.Se.: si l’image de synthèse avait existé à l’époque, Téléchat aurait pu être en image de synthèse ou le bricolage fait l’identité de Téléchat et était prévu comme ça?

T.D.S.: oui, le côté déjeté, physique, matériel était prévu. Peut-être qu’on aurait pensé à une production assistée par ordinateur, mais cela n’aurait pas donné un résultat comparable. Je crois qu’il y avait un goût pour quelque chose qui s’apparente à du théâtre à l’ancienne, à la comedia dell’arte. Avec une importance donnée aux mouvements du corps.

C’était nécessaire parce qu’il y avait quand même des marionnettes très inertes: un fer à repasser, un téléphone, une cuillère et une fourchette. Faire vivre ça devant un écran, c’est comme faire vivre une planche! S’il n’y a pas, à côté de ça, un minimum de personnages qui ont de la chair, du corps et des rondeurs, cela donne quelque chose de plat. Il fallait qu’on essaye d’avoir des personnages comme le chat, le lapin, l’autruche qui avaient un physique.

S.Se.: tu animais quelle marionnette?

T.D.S.: ma marionnette principale, c’était Groucha. Il y a eu pendant un temps son sale concurrent, GTI…

S.Se.: tu es complètement dans l’histoire, je vois. Tu ne l’aimes pas!

T.D.S.: c’était un être abject. C’est d’ailleurs un personnage qui a véritablement existé selon moi. GTI a marqué l’arrivé de toute une série d’opérateurs des médias cyniques, fils à papa, pistonnés. Il y avait quelque chose de réel dans ce personnage. Groucha était un baroudeur amoureux de l’info, de la télévision. Il était parfois embêté. Il y a une émission où il déclare: « Le public, plus il est grand, plus il est bête ». Il était sans cesse en interrogation sur ce qu’il faisait. GTI était un être stupide et sans sensibilité. Il termine comme gourou de secte.

J’animais principalement ces deux personnages-là parce que la présence à l’antenne était déjà très importante. J’avais du boulot! Au début, on avait imaginé une relative interchangeabilité des marionnettistes. Cela pouvait d’ailleurs intéresser un producteur… Un comédien qui quitte une scène, c’est grave. Un marionnettiste qui part, du moment où il n’emporte pas la marionnette, on peut continuer. Au début pendant trois quatre semaines, on était deux à travailler sur Groucha. Puis au bout d’un moment, le producteur a dit qu’il souhaitait qu’il n’y ait qu’un seul marionnettiste. Il trouvait que la personnalité de Groucha hésitait entre deux maintiens et que cela affaiblissait son identité. J’ai continué seul.

Ca ne m’a pas plu du tout parce que j’avais une grande estime et une grande admiration pour le deuxième marionnettiste que je trouvais meilleur que moi. J’ai mal vécu cette éviction nécessaire. Rapidement donc, on a pris une habitude, du moins pour les grosses marionnettes, d’avoir un animateur attitré qui la développait petit à petit.

S.Se.: donc je suis face à Groucha!

T.D.S.: au tiers de Groucha. Il y a un tiers qui est le Groucha inventé et qui revient à ses auteurs. Il y a une grosse partie de sa personnalité qui est liée à sa voix. Jean-François Devaux, qui a fait sa voix, lui a donné une personnalité. Je me souviens, on avait fait des auditions de comédiens. Et je me souviens que le choix a été facile. On a écouté la voix et on s’est dit: « Là, il existe ».

Les épisodes de la première saison ont été enregistrés sans que les comédiens ne visualisent les marionnettes et les décors puisque ce n’était pas encore fait. Nous, on a joué en se collant sur les bandes. Puis tout le monde à vu la synthèse entre une idée, un physique et une voix. C’était extraordinaire. Quand on a reçu les enregistrements de la deuxième saison, on a remarqué un saut dans la maturité des voix. Comme si, à ce moment-là, les comédiens qui étaient en studio jouaient le personnage qu’ils avaient pris l’habitude de voir.

Se mettre dans la voix et rejouer était plus facile parce que l’osmose était faite. Le personnage avait trouvé son identique gestuelle, vocale et de contenu. Groucha restera toujours un personnage imaginaire. Personne n’est Groucha. Il y a quelqu’un qui parle comme Groucha, quelqu’un qui bouge et qui se cambre comme Groucha et puis il y a ceux qui l’ont imaginé.

S.Se.: je fais partie de la génération qui a vu Téléchat à la télévision… Groucha m’a toujours fait pensé à Michel Drucker!

T.D.S.: c’est pas faux. C’était une des grandes références. Mais je crois que Groucha et Drucker sont des produits de télévision. C’est la télévision qui les a faits et qui les a conduit à devenir comme la télévision les voulait. C’est un peu comme le film « La Chèvre »: pour trouver une fille qui a la poisse, il faut trouver un gars qui a la poisse. Ils seront toujours pris dans un entonnoir qui fait qu’ils se retrouveront un jour au même endroit. Et comme ça, on peut retrouver la fille.

Les médias fonctionnent de la même façon. Ils créent eux-mêmes leurs archétypes puisque c’est la loi de leur fonctionnement. Alors on obtient un catalogue de personnes un peu différentes, mais toutes campées sur un même modèle. Avec le temps, ça apparaît très fort. Alors effectivement, le côté un peu rond de Drucker, son côté sucré mais qui s’interdit de l’être trop, son côté un peu ambigu –un personnage de télé, quoi!– donc, c’est forcément un peu la même chose.

S.Se.: Groucha qui ressemble à Drucker, GTI qui ressemble à des gens qui ont réellement existé… Téléchat est aussi une critique des médias. J’allais dire avant tout, mais peut-être pas avant tout…

T.D.S.: (il réfléchit) Je pense que l’idée n’était pas de faire une critique des médias, mais –et Roland Topor ne se cachait pas pour le dire– c’était une manière de régler quelques comptes. Roland Topor avait une longue existence d’inventeur d’histoires et de personnages. Il avait appris à connaître ce monde. Faire une fiction qui se passe en télévision, dans le lieu qui était à la pointe de la fantasmagorie de l’époque était une manière de remettre en os et en chair toute une série de personnages et de tendances de l’époque.

Il y avait certainement une critique. La plus évidente est cette façon de mettre en scène de manière exagérée ce qu’on appelle des « drames » et qui ne sont qu’un quotidien relativement morose, mais en le faisant bouillir, on le fait monter: « Regardez cette séquence inoubliable ». On fait vibrer la populace en lui montrant des choses comme ça. Là, il y avait certainement une critique.

Mais il y avait aussi… C’est une qualité de Roland Topor. Il avait un oeil pointu mais une capacité de tolérance et de tendresse exemplaire. Tout le monde finissait pas trouver grâce à ses yeux. Téléchat est une émission où les personnages les plus abjects ne le sont pas totalement. Ils dévoilent toujours un côté un peu fêlé qui finalement les rend sympathiques. Il n’y a pas de méchants, il y a des maladroits, des coincés, des mal dans leur peau, mais pas de gens désignés explicitement comme des gens à haïr…

S.Se.: même pas GTI?

T.D.S.: même pas GTI parce que finalement, il apparaît comme quelqu’un de dramatique et d’égaré dans un monde auquel il convient trop bien et dont il a trop bien compris les ficelles. Mais il se retrouve finalement dans des positions où ça va mal pour lui. Il ne gagne pas en réalité. C’était le coté attachant de Roland Topor: cette capacité d’avoir une vision critique fine, forte et bien construite –parce qu’il savait exactement où il allait– mais sans jamais frapper la victime une fois qu’elle était par terre. Il essayait de la relever. Il se disait: « Après tout, j’aurais pu être à sa place ».

S.Se.: ce qui est fou quand on regarde Téléchat maintenant, on se dit que la critique des médias qu’elle contient, on peut toujours l’appliquer aux médias actuels.

T.D.S.: ça, il faut reconnaître que Roland Topor avait vu juste. Il y a même un côté prophétique. Il a vu cette dérive vers une narration permanente qui grossit des personnages, qui leur donne un maximum de déploiement pour les rendre attirants, attachants, méprisables, etc…

Finalement, la télévision le faisait moins à l’époque qu’aujourd’hui. C’est clair que l’idée de coller à la fin un post-générique dans lequel on dévoile un bout de la vie privée des personnages, c’est un peu du « Loft Story ». C’est un peu la caméra qu’on a oublié d’éteindre. Il y a des éléments grâce auxquels on se rend compte que Roland Topor et Henri Xhonneux avaient très bien compris le fonctionnement des médias dans leur côté communicateur, dans leur côté émotionnel, « faire participer » grossier…

S.Se.: c’est marrant que tu me parles du « Loft » parce que j’allais te demander si Téléchat existait aujourd’hui, est-ce qu’elle ne montrerait pas de la télé-réalité plutôt que du journalisme?

T.D.S.: c’est possible, oui. C’est vrai que le travail de l’information était plus en avant dans les télévisions au début des années ’80 et aujourd’hui le genre télévisuel vedette est sans doute plus proche d’émissions du genre « on va tout vous dire ». Mais c’était déjà très « Loft » dans Téléchat. On avait des appels depuis les archives où Brossedur donnait ses réactions. Le téléphone sonnait et les téléspectateurs donnaient leur avis. La deuxième année est arrivée la lampe Bon Moment qui matérialisait l’état du public. Finalement, la grande angoisse d’une émission, c’est « est-ce qu’on me regarde? ».

S.Se.: d’un autre côté, ce n’est peut-être pas innocent que la seule émission de marionnettes qui existe encore aujourd’hui, ce sont Les Guignols De L’Info où on parle d’info…

T.D.S.: oui, mais la logique est très différente. Ils ne construisent pas un univers, mais ils répliquent le réel en le caricaturant. Ce n’était pas le cas de Téléchat. C’était un microcosme, un petit univers qui résume le grand. Tandis que Les Guignols font loupe, on y augmente les travers de l’information.

S.Se.: Téléchat était une co-production parce que c’était une rencontre de personnes qui avaient envie de travailler ensemble sur un projet ou parce que, déjà à l’époque, on n’avait pas les moyens financiers pour travailler seul?

T.D.S.: je n’ai pas participé au montage institutionnel et financier de Téléchat. Il me semble qu’il y avait certainement un réseau de personnes qui se connaissaient. Jacqueline Joubert, alors responsable des programmes jeunesse d’Antenne 2, avait beaucoup de contacts dans le monde du spectacle. Le lien Joubert-Topor a créé une dynamique qui a permis que le projet prenne corps.

Puis à ce moment-là, sont arrivées des caméras légères qu’on pouvait mettre dans le coffre d’une voiture. On pouvait sortir du studio tout en gardant une qualité technique excellente. Quand on regarde aujourd’hui on s’en rend compte. Les couleurs sont toujours biens. C’était possible de tourner en extérieur sans devoir faire venir un car de production et des tonnes d’éclairages. C’était du matériel fragile et récalcitrant, mais on pouvait le faire. Ce côté technique couplé avec l’existence de structures de production légères et cette idée un peu « bateleur », « cirque » qui voulait qu’on puisse faire de la télévision dans l’arrière salle d’un complexe d’usine… Cela a rendu le projet possible.

Mais tout de même, sans Antenne 2, il n’y aurait pas eu Téléchat. Il fallait une boite qui mette de l’argent et accepte de le diffuser. Aujourd’hui, le marché fonctionne sur achat de produits préalablement investis. C’est probablement plus difficile aujourd’hui de trouver quelqu’un qui avance des sommes avec le risque que personne ne diffuse le projet. Les médias à l’époque étaient souples. Un tournage pouvait se dérouler dans des conditions différentes des studios classiques. Sans que cela déclenche des grèves du personnel en place dans la maison qui aurait pu, par exemple, revendiquer de le faire en interne. Les télévisions avaient encore une vision sans au préalable s’accorder à des sondages.

Finalement, il y a eu une audace de la part d’Antenne 2 de programmer Téléchat. C’était un émission pour enfants, mais pas du tout habituelle.

S.Se.: pourquoi ça s’est arrêté? C’était une décision de l’équipe ou de l’extérieur?

T.D.S.: c’est essentiellement parce que YC Aligator Films –Eric Van Beuren le producteur, Roland Topor l’écrivain et Henri Xhonneux le réalisateur– ont eu le sentiment qu’ils avaient fait le tour. L’année supplémentaire aurait été l’année de trop. Moi qui n’ai pas décidé, je suis tout à fait d’accord. La première année était une invention, la deuxième était une maturation, la troisième était une confirmation, la quatrième ne pouvait qu’être une catastrophe. On connaissait tout trop bien. Il fallait inventer de nouvelles choses.

En plus, on avait le projet de « Marquis », le long métrage sur la révolution française qui commençait à chatouiller les esprits. On approchait du bicentenaire donc il fallait s’y mettre si on voulait être dans les temps. On voulait changer d’air.

S.Se.: Téléchat a reçu de très bonnes critiques, des récompenses, le public a suivi… Autour de toi, tu entendais quoi?

T.D.S.: rien parce que, en fait, il y avait peu de gens que je connaissais qui regardaient Téléchat. Ca passait à l’heure où les gens étaient au travail. Parfois, c’était diffusé avant le JT, c’est vrai. Mais je n’entendais rien. Mais elle a dû avoir du succès parce qu’elle a été rediffusée. Ce qui est frappant, c’est de voir que cette génération qui avait entre 6 et 15 ans au moment où ça passait, cette génération souvent déclare que c’est devenu leur bagage.

De manière émouvante, il y a quelques années, on a retourné un peu de Téléchat dans le cadre de cette école de cinéma, l’IAD dont j’ai déjà parlé. On a fait un clip vidéo en studio. Ca me faisait drôle de retrouver la marionnette après autant de temps. Mais ce qui était touchant au moment de la sortie de la marionnette et sa mise en place, il y a eu un moment d’émotion. C’était poignant parce que les jeunes qui étaient là filmaient ce Téléchat qui avait appartenu à leur enfance et qui a dû jouer dans le choix de leur étude. Le cameraman disait: « Je cadre Groucha, c’est bizarre. La vie a fait comme un tourbillon. Il me dit `chalut´ et c’est dans ma caméra ». On a eu un moment d’échange.

Finalement, ce qui est touchant c’est moins l’émission que la façon dont elle a germé avec cette poésie, ce regard cynique, critique, sur la vie, mais tendre. Cette façon de regarder les choses, fait que les auteurs de cette histoire ne sont pas tout à fait morts. Ils ont transmis quelque chose qui s’est niché dans la sensibilité d’une génération qui le porte en elle et qui va le traduire. C’est impressionnant cette idée qu’il existe une « téléchatude » qui existe encore.

S.Se.: tu me parles de l’émotion des jeunes à ce moment-là, mais on sent aussi une émotion de ton côté. Téléchat a laissé des traces.

T.D.S.: de façon personnelle pour moi, les traces de Téléchat… D’abord, on est resté soudés amicalement, ceux qui faisaient partie de l’équipe. C’est un peu devenu quelque chose qui ressemble aux copains d’abord: ceux qui sont tombés dans l’eau, le trou est toujours là. Personnellement, ça m’a apporté énormément. Mon travail actuel consiste à réfléchir sur les médias, ce qu’ils font de la société, ce que la société fait des médias, comment ça fonctionne…

J’ai eu l’occasion de pratiquer un laboratoire intensif de cela dans lequel j’étais à la meilleure place. Pouvoir tenir un personnage de télévision au bout de son bras, le caler au millimètre dans l’écran, pouvoir contrôler de l’extérieur (parce que j’étais en dessous et non dedans) ses postures, ses regards, la façon dont il incarne un texte, faire paraître ses moments d’hésitations, etc… Médiatiser tout cela et puis suivre le produit jusqu’au moment où il est terminé et puis voir la carrière que fait ce produit, c’est une expérience très enrichissante.

Souvent la façon dont on travaille est tellement plus morcelée, qu’on ne fait qu’une partie. Là pendant quatre ans, j’ai fait un itinéraire et j’ai découvert beaucoup de choses. Le miracle de la marionnette, c’est qu’on peut se prolonger dedans, mais on n’est pas elle. Le coté un peu gênant de l’auto-exhibition (comme pour quelqu’un qui joue au théâtre par exemple), on l’expulse de soi et on l’injecte dans la marionnette. On est dedans et dehors et on peut explorer comment un personnage se met en scène avec tous les stéréotypes du journal télévisé ou du reportage sur le terrain, avec les oeillades, l’empressement et tout ça. On le fait, mais on le fait en étant dehors.

C’est un peu dommage peut-être que les images de synthèse soient arrivées aussi vite et qu’elles aient coupé le cou à un genre qui auraient mérité de continuer. Peut-être que ça va reprendre parce que je pense qu’on a pas fini d’explorer ça. Mais les images de synthèse sont arrivées un peu trop vite avec une manière de réaliser les choses tout à fait différemment. On n’a pas le côté vivant, l’erreur, l’hésitation qui n’appartient qu’à un muscle en mouvement.

S.Se.: quel était ton élément préféré dans Téléchat? Dans l’histoire?

T.D.S.: avec le recul, ce sont les séquences qui se déroulaient à Napa Vallée, la réserve sauvage dont le fond sonore est un bruit de jungle. A Napa Vallée, on pouvait voir à la tombée du jour, les tables de nuit qui vont boire à la rivière. Il y avait des animaux bizarres qui vivaient là. Pour aller à Napa Vallée, on utilisait Bébère, le gros camion rose Citroën en tôle ondulée, avec une voix type Gabin et qui parlait en bougeant le pare-chocs. D’ailleurs quand on tournait et que des gens manipulaient le pare-chocs, on n’entendait plus rien tellement ça faisait du boucan.

Si vous regardez les DVD, vous remarquerez qu’un moment donné on voit la jambe de Groucha. Un moment, on s’est dit que c’était possible de faire parler Groucha dans le camion avec la porte ouverte (les portes de ces camions s’ouvraient « à l’envers ») et sa jambe dépassait et bougeait. C’est gai pour un marionnettiste d’animer une marionnette et qu’on voit sa jambe sur le même plan sans trucage. Cet univers de Napa Vallée, c’est celui qui reste le plus agréable.

Les tournages extérieurs en général étaient épouvantables. On tournait en juillet et août, il faisait chaud, il fallait porter les marionnettes, rester dans la lumière, on rajoutait encore des reflets de frigolite pour les ombres et ça transformait le plateau en fournaise. Donc c’était horrible. Mais visuellement, ce sont les séquences les plus intéressantes. Sortir du plateau, être suspendu à l’Atomium…

On a fait une séquence horrible dans une décharge avec les bulldozer derrière (NDLR: la séquence où l’équipe recherche Mic Mac). Ca puait, on ne pouvait rien toucher, le matériel tombait, les boites de conserve coupaient les fils, il faisait chaud, on était plein de mouches, c’était horrible. Mais il n’y a rien à faire, ces séquences ont un côté puissant et fort et quand on les revoyait on les trouvait plus intéressantes que l’éternel studio. Le souvenir du résultat me reste.

S.Se.: tu en penses quoi des DVD?

T.D.S.: c’était incontournable. Ce serait dommage de ne pas mettre cela à disposition des gens. Le DVD permet aux gens de retrouver l’émission, parfois d’aller plus loin. C’est une bonne chose. Ils ont été faits (NDLR: l’édition de 2005 en 3 DVD) par une société française très compétente. Ils ont été faits avec soin. Ce n’est pas un produit cynique de gens qui veulent exploiter le filon. Ils ont conçus les bonus minutieusement. On a tous été fouiller dans nos armoires, on a raconté nos anecdotes de tournages. C’était l’occasion de transformer un souvenir en monument. Pas ambitieux, mais ça restera. Je suis très content de ces DVD. C’est un travail d’amateur, dans le sens des gens qui aiment ce qu’ils font.

S.Se.: 26 épisodes par saison, c’est le meilleur ou on aurait pu avoir plus (depuis, l’intégrale est sortie en DVD chez un autre éditeur, LCJ Productions)?

T.D.S.: je ne sais pas… 26, ça donne l’occasion d’en refaire si tout le monde en redemande! J’ai l’impression qu’ils sont bien choisis ces 26 épisodes, que ce sont des bons. Ca doit suffire parce que s’enfiler tous les épisodes d’un coup… Heureusement, qu’il y a des télécommandes pour passer les génériques!

Merci Thierry De Smedt!

Toute l’équipe d’AFDS.tv tient à remercier Thierry De Smedt de nous avoir consacré un peu de temps et de nous avoir prêté les éléments sonores qui ont habillé notre émission spéciale et son interview.

Crédits Photos:
Chonowski ProductionsYC Aligator Film

Sarah Sepulchre

Sarah Sepulchre est professeure à l’Université de Louvain (UCL, Belgique). Ses recherches portent sur les médias, les fictions, les cultures populaires, les gender studies et particulièrement sur les représentations, les liens entre réalité et fiction. Sa thèse de doctorat était centrée sur les personnages de séries télévisées.

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