Rois Maudits (les)
Les Rois maudits (« maudits » avec minuscule), c’est au départ un roman écrit par Maurice Druon et publié entre 1955 et 1977. L’oeuvre compte sept volumes: ‘Le Roi De Fer’, ‘La Reine Etranglée’, ‘Les Poisons De La Couronne’, ‘La Loi Des Mâles’, ‘La Louve De France’, ‘Le Lis Et Le Lion’ et ‘Quand Un Roi Perd La France’.
Maurice Druon raconte l’histoire de la monarchie française depuis Philippe IV le Bel jusqu’à la guerre de Cent Ans. L’histoire débute durant le règne de Philippe le Bel alors qu’il tente d’écraser l’ordre des Templiers. A l’issue d’un procès titanesque en 1314, il fait brûler tous les membres de l’ordre pour hérésie. Sur le bûcher, Jacques de Molay lance une malédiction sur Philippe le Bel et sa descendance ainsi que sur Guillaume de Nogaret et le pape Clément.
« Pape Clément! … Chevalier Guillaume! … Roi Philippe! … Avant un an, je vous cite à comparaître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment! Maudits! Maudits! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races! » (Druon, p. 79).
Guillaume de Nogaret, qui avait mené l’instruction du procès des Templiers; le Pape Clément V, qui avait ouvert le procès sous la pression de Philippe le Bel ; et ce dernier, décèdent effectivement dans l’année. Les successeurs au trône ne seront pas plus chanceux puisqu’ils meurent d’assassinat ou de maladie sans avoir donné d’héritier au royaume (c’est la première fois que la succession est brisée depuis Hugues Capet). L’histoire des Rois maudits se focalise sur les intrigues, les convoitises, les ruses provoquées par ces moments de succession. Les épisodes suivent les événements jusqu’à la déclaration de la Guerre de Cent Ans qui en résulte.
Les personnages centraux de la fresque sont les descendants de Philippe le Bel, Louis X le Hutin, Philippe V le Long, Charles IV le Bel, Isabelle de France reine d’Angleterre et les représentants de la branche Valois qui leur succéderont (principalement Charles et Philippe). A leurs côtés, on retrouve le comte Robert d’Artois, la comtesse Mahaut d’Artois, les barons, les représentants du clergé et les banquiers Lombards.
Maurice Druon
Il remplace Georges Duhamel au siège numéro 30 de l’Académie française depuis le 8 décembre 1966, ce jusqu’à son décès le 14 avril 2009. Maurice Druon est le neveu de Joseph Kessel, également membre de l’Académie française avec lequel il composera le Chant Des Partisans durant la seconde guerre mondiale. C’est dès l’âge de 18 ans qu’il publie dans les revues et journaux littéraires. Il reçoit notamment le Prix Goncourt en 1948 pour « Les Grandes Familles ». Il est membre d’un nombre hallucinant de Conseils littéraires, de Sociétés d’auteurs et d’Académies.
Le site officiel des Rois Maudits 2005 nous apprend qu’initialement, Maurice Druon voulait écrire une biographie des treize rois issus de la branche de Valois. Mais qu’avant tout, il devait expliquer d’où ils venaient. Il n’ira jamais au bout de son projet. « Les Rois maudits sont le prologue d’une oeuvre qui n’a pas vu le jour » (http://les-rois-maudits.france2.fr).
Les Rois Maudits (1972)
Marcel Jullian signe l’adaptation de l’oeuvre au petit écran. Claude Barma réalise les six épisodes de 95 ou 105 minutes. Ils seront programmés sur la deuxième chaîne de l’ORTF de décembre 1972 à janvier 1973. Les épisodes sont diffusés en soirée et font l’événement (Lost et Desperate Housewives n’ont donc rien inventé).
« Pape Clément, chevalier Guillaume de Nogaret, roi Philippe, avant un an je vous cite à comparaître au tribunal de Dieu ! Maudits, vous serez tous maudits jusqu’à la treizième génération! »
Episodes
Le Roi De Fer: Philippe le Bel, monarque autoritaire, règne sur la France du début du XIVème siècle. Sur son ordre sont brûlés les Templiers, qui le maudissent. De son côté, Robert d’Artois veut reconquérir son comté dont l’a dépouillé sa tante Mahaut. Pour y parvenir, il perdra Marguerite de Bourgogne, dont il a découvert les jeux amoureux. La malédiction des Templiers commence: Philippe le Bel meurt “les yeux ouverts” (Texte repris de l’édition DVD, TF1 vidéo).
La Reine Etranglée: Louis X le Hutin, époux trompé de Marguerite de Navarre, monte sur le trône. Le roi ne songe qu’à se remarier et laisse à son oncle, Charles de Valois, le soin de diriger à sa place le royaume. Le Hutin se heurte à Marguerite, qui s’oppose à l’annulation du mariage. Charles de Valois propose sa nièce, Clémence de Hongrie, pour seconde épouse à Louis. Avec l’aide de Robert d’Artois et l’accord tacite du roi, il fait étrangler Marguerite dans son cachot (Texte repris de l’édition DVD, TF1 vidéo).
Les Poisons De La Couronne: Louis X épouse Clémence et se fait sacrer à Reims. Mahaut d’Artois poursuit sa lutte contre son neveu qui veut la spolier de son comté. Le roi rend une sentence au profit de Robert d’Artois. Et la comtesse, mécontente, fait empoisonner Louis X. Le roi étant mort sans héritier mâle, la querelle de la succession s’amorce (Texte repris de l’édition DVD, TF1 vidéo).
La Loi Des Mâles: Aidé par Mahaut d’Artois, Philippe de Poitiers prend la régence du royaume. Clémence met au monde Jean 1er, héritier de la couronne. Mais la terrible Mahaut fait empoisonner le bébé-roi. Au nom de la loi des mâles, Philippe V, acceptant les bénéfices du crime, devient à vingt-cinq ans roi de France. Mais il n’échappera pas à la malédiction (Texte repris de l’édition DVD, TF1 vidéo)…
La Louve De France: A la mort de Philippe V, le royaume de France passe entre les mains de Charles IV le Bel, son frère. Sa soeur, épouse d’un roi d’Angleterre débauché, Edouard II, prend comme amant un baron révolté, Roger Mortimer. Celui-ci finit par faire assassiner le souverain pour faire remonter sur le trône le fils d’Isabelle, Edouard III (Texte repris de l’édition DVD, TF1 vidéo).
Le Lys Et Le Lion: Edouard III a pris la couronne d’Angleterre, il remet de l’ordre dans le royaume et fait pendre Mortimer. Le jeune roi écoute les ambitieux conseils de Robert d’Artois, exilé de France. Pour reconquérir son comté, Robert amènera le jeune roi à prendre les armes et à revendiquer le trône de France. Une guerre commence, qui durera cent ans (Texte repris de l’édition DVD, TF1 vidéo).
On le comprend aisément à la lecture de ces résumés, la version télévisée suit scrupuleusement celle de Maurice Druon. On apprend d’ailleurs, grâce au livret de l’édition DVD, que l’écrivain a eu un droit de regard sur les scénarios et il semblait content du résultat.
« Laissant à chacun d’exercer son art ou son métier propre, j’ai donné mes avis au cours de l’élaboration de l’adaptation, mais me suis tenu résolument à l’écart du tournage. Je sais cependant que tous ceux qui ont coopéré à ce spectacle ont travaillé dans l’enthousiasme et la rigueur, peut-être même la ferveur. Je tiens à les en remercier et j’attends avec eux le verdict du public, notre juge », déclare-t-il à l’occasion de la diffusion des Rois Maudits sur la deuxième chaîne de l’ORTF (Texte repris de l’édition DVD, TF1 vidéo).
Le feuilleton est tourné et diffusé avant que le dernier volume ne soit publié, les six épisodes ne reprennent donc que les éléments des six premiers volumes.
Les personnages du feuilleton sont identiques à ceux de la version papier. Robert d’Artois est mis en évidence probablement parce qu’il est présent du début à la fin alors que la plupart des autres personnages meurent en cours de route. Peut-être aussi par le charisme de l’acteur Jean Piat. Une prestation maintes fois soulignée.
« Jean Piat, qui incarne Robert d’Artois, porte les six épisodes sur ses solides épaules. Dans sa composition de `l’homme écarlate, du pourpoint jusqu’aux bottes´, il jure, il hurle, il rit grassement, il éructe. Loin d’en faire un être méprisable, il le rend intelligent et terriblement dangereux. Ses entrevues avec le banquier lombard Spinello Tolomei (Louis Seigner), un homme `lucide et aimable´, font partie des grands moments des Rois maudits », écrit Christophe Petit dans le Guide Totem des séries télévisées (p. 97).
Claude Barma (1918 – 1992)
C’est un réalisateur prolifique de fictions télévisuelles. Parmi ses plus grands succès, on compte Croquemitoufle (1959), Les Parisiennes (1962), Belphégor Ou Le Fantôme Du Louvre (1965) et Les Rois Maudits (1972).
Marcel Jullian (1922 – 2004)
Homme de lettres, il fut directeur littéraire des éditions Amiot-Dumont, PDG de la Librairie académique Perrin, PDG de la librairie Plon et des éditions Julliard. Il était surtout écrivain, scénariste et producteur. Il a écrit les scénarios de quatre films de Gérard Oury: Le Corniaud, La Grande Vadrouille, Le Cerveau et La Folie Des Grandeurs. Il a réalisé un seul film: Les Parents Ne Sont Pas Simples Cette Année. Il a également écrit des séries télévisées comme Les Rois Maudits, Les Hommes De Bonne Volonté et Charlemagne. Il est le créateur d’émissions comme Les Dossiers De L’écran, Apostrophes et Le Grand Echiquier. Il devint président d’Antenne 2 en 1975.
Critique
Les Rois Maudits est une superproduction à l’époque. Le casting est prestigieux. Les acteurs sont issus du théâtre. C’est l’habitude à cette époque à la télévision. Le jeune média est encore largement tributaire du théâtre. Les acteurs sont d’abord des comédiens et ils n’ont d’ailleurs pas abandonné le jeu « théâtral ». On le comprend déjà quand on lit ce que Christophe Petit écrit sur la prestation de Jean Piat.
Le placement des personnages dans l’espace, leur manière de se placer face à la caméra, les regards qu’ils portent souvent dans le vague au moment de donner la réplique, la succession sans chevauchement des dialogues, le langage employé, tout respire le théâtre. Les moments où les acteurs s’adressent à la caméra, parce qu’il expliquent quelque chose en aparté aux téléspectateurs, fait également penser à un comédien qui s’adresserait directement au public lors d’une représentation.
Si le téléspectateur actuel s’étonne probablement de l’absence de scènes tournées à l’extérieur et le côté « carton pâte » des décors, il ne faut pas oublier que, pour l’époque, c’est normal. Le poids des caméras et les techniques de prise de sons empêchent alors tout tournage en extérieur. Mais les moyens mis en place sont alors colossaux. Le livret de l’édition DVD cite par exemple les 25.000 mètres de tissus nécessaires pour les décors dont 16.000 mètres peints qui reconstituent les lieux de l’histoire. Maurice Valay est le concepteur des décors.
On discerne parfois des mouvements de caméra, principalement les travellings, qui dynamisent la mise en scène et qui prouvent que les techniques de pointe de l’époque ont été mobilisées.
L’ouverture de chaque épisode rend compte de ce prestige. Une voix off reprend alors les éléments de contexte en résumant l’épisode précédent et en lançant déjà les faits que le téléspectateur verra dans la suite. Jean Dessailly prêtait alors sa voix à la fiction. A l’image, les acteurs figés dépeignent un tableau représentatif de ce que la voix off annonce.
Seul l’épisode 4 ne connaît pas d’ouverture. Pour l’épisode 5, c’est Guccio, l’un des personnages qui s’adresse aux téléspectateurs et certaines parties du tableau sont animées. C’est le moment où le téléspectateur peut se rendre compte de l’ampleur du casting.
Ces techniques de pointe paraissent évidemment un peu désuètes aujourd’hui. De même que les manières de faire de la télévision en calquant le théâtre paraît désormais complètement à côté de la plaque. Cela n’enlève rien à la qualité du feuilleton à l’époque. Par ailleurs, on ne peut s’empêcher de sourire quand on lit que « certaines critiques fustigent cette dramatique qu’ils trouvent trop violente, trop sulfureuse » (livret de l’édition DVD, TF1 vidéo). Pour un oeil du troisième millénaire, il est effectivement plutôt difficile de trouver les histoires ou leur traitement sulfureux!
Genre
Techniques de pointe, moyens colossaux, casting soigné… Voilà qui ressemble beaucoup à ce que Stéphane Benassi nomme un « feuilleton de prestige », soit une fiction possédant un nombre réduit d’épisodes (entre 6 et 9) de 90 minutes, mais qui bénéficie de moyens importants. « Cette catégorie est en fait susceptible d’apparaître comme une sorte d’équivalent télévisuel des superproductions cinématographiques et c’est généralement sur elle que comptent les dirigeants des chaînes pour affirmer leur image de marque » (Séries et feuilletons T.V. Pour une typologie des fictions télévisuelles, p. 64).
D’ailleurs, « Les Rois Maudits » allie parfaitement les deux sous-genres majeurs du feuilleton de prestige: la fiction historique et la fiction généalogique. Le premier mêle « drames romanesques et trames historiques, faits réels et intrigues inventées, personnalités historiques et personnages fictifs » (Idem, p. 69). Alors que le second est « (…) un récit qui retrace l’histoire d’une famille sur une ou plusieurs générations et dans lequel se mêlent aventure, mystères et sentiments (Racines aux Etats-Unis, Les Dames De La Côte en France) ».
« En un sens, le feuilleton généalogique pourrait être considéré comme une sorte d’équivalent « ultra-elliptique » des deux autres (feuilleton de prestige et historique), dans la mesure où sur un nombre d’épisodes (un temps narratif) comparable, il développe une intrigue beaucoup plus longue (temps diégétique) s’étalant souvent sur plusieurs générations, générant ainsi des ellipses plus importantes » (Idem, p. 69).
« Les Rois Maudits » est bel et bien une fiction historique, même s’il n’est pas certain que tout ce qui y est dit est vrai. Dans le Guide Totem Des Séries Télévisées, Christophe Petit souligne que « Les Rois Maudits affirme là où, parfois, l’histoire laisse le doute (on ignore, entre autres, si Marguerite de Bourgogne est morte naturellement ou si elle a été assassinée) » (Guide Totem, p. 96).
Maurice Druon, sur le site de France 2, prétend avoir pris des libertés, mais elles ne sont pas historiques. « Tout historien fait une hypothèse, militaire, politique ou autre, quand il traite une partie de l’histoire. Le romancier, lui, fait l’hypothèse psychologique. Je n’ai jamais transigé avec la vérité historique, mais dans le respect de cette vérité, j’ai pris le parti de la liberté des dialogues et de l’interprétation des personnages » (http://les-rois-maudits.france2.fr).
Pour ceux que cela intéresserait, je signale l’existence du livre d’Eric Le Nabour, « Les Rois maudits, l’enquête historique » qui dissèque la fiction à l’instar de ce que certains ont fait pour le Da Vinci Code.
En tout cas, le feuilleton remporte un tel succès que les feuilletons historiques s’emparent des petits écrans, selon Thierry Wolf et Stéphane Lenoir, les auteurs de Génération Télé. Ils citent des oeuvres comme Les Mohicans De Paris, Schulmeister, L’Espion De L’Empereur, Mandrin, Le Chevalier Pardaillan, La Dame De Monsereau, Les Ferfaut, Félicien Grevèche, Gaston Phébus…
Les Rois Maudits (2005)
Du 7 novembre au 5 décembre 2005, France 2 a diffusé le remake des Rois Maudits que l’on doit à Josée Dayan. La nouvelle version compte cette fois 5 épisodes de 90 minutes. Si les comédiens ne sont pas issus du monde du théâtre, le casting n’en est pas moins prestigieux selon les normes modernes puisque Gérard Depardieu, Jeanne Moreau, Philippe Torreton, Jean-Claude Brialy, Line Renaud – pour ne citer qu’eux – sont de la partie.
La série est annoncée en grandes pompes notamment grâce aux acteurs célèbres présents au générique, de la signature de Josée Dayan et de l’inauguration de France 2 de son marché de vidéo à la demande (il était possible de télécharger les épisodes sur internet dès le lendemain de leur diffusion).
Mais il faut vite déchanter, les épisodes attirent de moins en moins de téléspectateurs. Le dernier épisode n’est suivi que par 6,2 millions de personnes. Pas mauvais en soi, mais peu en rapport du 8,7 millions de téléspectateurs qui avaient dévoré le premier épisode (source: Médiamétrie). Les Cordier (TF1) ont rapidement repris leur première place au fil des semaines!
« Pape Clément! Chevalier Guillaume de Nogaret! Roi Philippe! Avant un an, je vous cite à paraître au tribunal de Dieu pour y recevoir votre juste châtiment! Maudits! Soyez tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races… »
Episodes
‘Le Roi De Fer’ ; ‘La Reine Etranglée’ ; ‘Les Poisons De La Couronne’ ; ‘La Louve De France’ ; ‘Le Lis Et Le Lion’.
Josée Dayan
Josée Dayan est descendante d’une famille marquée par l’audiovisuel puisque son père était directeur d’une télévision à Alger et sa grand-mère était propriétaire d’une salle de cinéma. Elle a réalisé plusieurs longs métrages: Plein Fer, Hot Chocolat et, plus récemment, Cet Amour-là. Elle collabore à la télévision en signant l’un ou l’autre épisode de Navarro, Julie Lescaut, le JAP. Puis elle prend la direction de séries prestigieuses comme La Rivière Espérance, Les Misérables, Le Comte De Monte Cristo, Balzac, …
C’est elle qui a eu l’idée de reprendre Les Rois Maudits. Le sujet la fascinait, déclare-t-elle sur le site officiel de la mini-série. Elle a surtout été fascinée par la description que Maurice Druon fait du pouvoir, la galerie des personnages et la force du récit. « Mais, au-delà du regard d’un réalisateur, une adaptation est aussi le reflet d’une époque. Les Rois maudits version 1972, avec leur parti pris très théâtral, ne font pas exception à la règle. On était alors dans une société qui, avec deux chaînes de télévision, bientôt trois, ne connaissait pas une grande concurrence des images. Surtout, je trouve la France de ce début de XXIème siècle plus dure, plus angoissée, moins permissive et moins frivole. Je voulais donc tenter une relecture davantage en prise avec le monde d’aujourd’hui et les questions qui l’occupent, plus noire et moins austère. Et, quant à la forme, mettre cette histoire à l’épreuve d’un imaginaire et de techniques qui ont nourri aussi bien Le Seigneur Des Anneaux que Harry Potter » (http://les-rois-maudits.france2.fr).
L’autre nom qui apparaît à chaque générique est celui de Anne-Marie Catois, la scénariste. Auparavant, elle avait écrit Nationale 7.
La fiction est plus courte que la version de 1972. L’épisode ‘La Loi Des Mâles’ a été « supprimé ». Les événements narrés sont cependant identiques. Ceux de l’épisode manquant n’ont pas été évincés, mais intégrés dans les autres. On va jusqu’à reprendre des scènes de transition identiques comme le plan sur les pattes d’un cheval au galop pour signifier les déplacements. En conséquence, le rythme du récit est plus rapide. Il semble même parfois haché, tellement certaines scènes sont courtes. Une scène se résume parfois à une seule phrase ou une seule action (exemple: Isabelle ouvre le mot qui lui apprend que son père est décédé). Ce découpage elliptique, haché n’est pas toujours judicieux.
Esthétique
Dans l’ensemble, il s’agit donc d’un copié-collé. Evidemment, certains détails diffèrent: par exemple après son accident de chasse, Philippe Le Bel est transporté de nuit en bateau vers son château ; Mahaut vient elle-même inspecter le corps de Marguerite à la mort de celle-ci pour constater qu’elle a été étranglée ; Mahaut va voir un astrologue ; la mère de Clémence est soulagée que Louis X se marie avec sa fille, etc… Mais cela ne change en rien la signification de l’histoire ou la portée de certaines événements.
Ce qui change, par contre, c’est la mise en image. On retrouve évidemment des extérieurs dans cette adaptation. Aucune production actuelle ne pourrait s’en passer. Certains sont mêmes impressionnant comme le Mont Faucon où l’on pend Marigny.
Les décors ne sont, cette fois, pas peints sur des toiles. Philippe Druillet, le dessinateur de BD, les a conçus. Philippe Druillet est le créateur des Six Voyages De Sloane, de Vuzz, de Salammnô. Ses oeuvres relèvent de l’Heroïc Fantasy ou de la Science Fiction (avec Jean-Pierre Dionnet, Bernard Farkas et Moebius des Humanoïdes associés, il crée d’ailleurs Métal Hurlant, l’auto-proclamé premier journal de BD SF en 1975).
Josée Dayan voulait « (…) un univers à la fois futuriste et ancré dans le passé, des lieux surdimensionnés où les personnages apparaissent pour ce qu’ils sont: des êtres vulnérables, écrasés, accablés par le poids de l’Histoire et de la malédiction » (http://les-rois-maudits.france2.fr).
Pas étonnant que les décors flirtent allègrement avec l’épopée anhistorique. Personnellement, je les trouve jolis, mais inadaptés à l’intrigue. Ils m’ont fortement fait penser aux décors des films expressionnistes allemands, comme le Metropolis de Fritz Lang. Cela se repère aux formes des barreaux des prisons, aux motifs géométriques que l’on discerne dans les vitraux, les bas reliefs qui ornent les murs, les découpes obliques des fenêtres ou les statues présentes. Cela cadre cependant assez mal avec l’époque et, surtout, le propos. Notez que Philippe Druillet a publié un album reprenant les décors des Rois Maudits.
Dans le mêmes genre, je trouve également le choix des costumes trop décalé. Alors que la version de ’72 reste relativement fidèle à l’époque, les vêtements de 2005 ne s’y rapportent en rien. Les tissus, les coupes, les modèles (les filles aux bras nus), les coiffes sont complètement fantaisistes. Robert d’Artois est même affublé d’une veste rouge en cuir qui fait furieusement penser à celle de Michael Jackson époque « Beat It »!
On décèle d’autres bizarreries. Par exemple, Marigny a un crâne chauve un peu anachronique pour un aristocrate. Mimi Lepicta, la créatrice, s’est notamment inspirée des projets de décors de Philippe Druillet. Elle a donc également suivi la volonté de Josée Dayan. « Surtout, j’avais compris qu’elle voulait s’éloigner des clichés d’un Moyen Age triste et grossier et aller vers la première renaissance italienne, la démesure, le raffinement et la sauvagerie ». Elle a donc essayé d’atteindre un forme d’intemporalité « à la fois moderne et poétique » (http://les-rois-maudits.france2.fr).
Il paraît évident que les concepteurs ont préféré se diriger vers un traitement moins historique, plus épique et « heroïc fantasy » pour cette adaptation. Le générique ne fait d’ailleurs plus 14ème, mais s’inspire clairement de ce qu’on a pu entendre dans des fictions comme Le Seigneur Des Anneaux. C’est un choix, mais cela ne me paraît pas le bon. La preuve: tous ceux qui m’ont avoué avoir regardé (la plupart des gens que je connais n’ont regardé qu’un épisode par curiosité avant d’abandonner semble-t-il) ont été heurté par cet élément.
Qu’en pense l’auteur?
Sur le site de France 2, déjà cité, Maurice Druon déclare avoir été séduit par la version de 1972 comme toute la France. « La première version a été reçue avec un enthousiasme inouï. La Comédie De Genève qui passait le mercredi a du changer son jour de passage qui coïncidait avec celui des Rois Maudits. Cette diffusion a été un événement incroyable, la France s’arrêtait pour regarder Les Rois Maudits. Dans cette version, j’ai beaucoup aimé, en particulier, l’interprétation de mon ami Jean Piat qui jouait Robert d’Artois ». Il se dit également satisfait de la nouvelle approche qui va permettre à une nouvelle génération de découvrir la saga (http://les-rois-maudits.france2.fr).
Critique
On pouvait se dire que les téléastes modernes allaient revisiter l’oeuvre en la débarrassant du théatralisme, des pudibonderies et des effets de manches lourds de la première version tout en l’affublant de quelques techniques modernes de réalisation. Nous venons de voir que l’esthétique est modernisée, mais tombe à plat. Plus grave, l’adaptation 2005 copie les faiblesses de celle de ’72. Comble: les acteurs semblent singer le côté théâtral de ’72! Mais cela ne fait absolument plus sens avec l’époque moderne, pire on sent que certains ne sont pas tout à fait à l’aise dans l’emphase. Enfin, Philippe Torreton est bien moins charismatique que Jean Piat et il ne parvient pas à porter la fiction. Line Renaud paraît ne pas connaître son texte. Guillaume Depardieu semble être préoccupé par autre chose. Jeanne Moreau commence à se caricaturer. Le constat n’est pas glorieux.
On peut dès lors carrément se demander pourquoi France 2 a englouti de l’argent dans ce remake? Personnellement, j’ai pris plus de plaisir à regarder la version ’72 que je ne connaissais pas (et pourtant j’ai du mal avec ce genre de fictions bavardes!). N’aurait-il pas mieux valu rediffuser l’ancienne version avec un documentaire expliquant comment on faisait les séries à l’époque et recontextualisant les acteurs, les scénaristes, le réalisateur et l’intrigue racontée? Je me demande.
Ou pourquoi avoir ressenti le besoin de reprendre cette histoire? Josée Dayan semble avoir une vision assez précise de ce qu’elle voulait. Elle a la force de communiquer son enthousiasme à son équipe et elle sait s’entourer (si je trouve qu’ils sont inadaptés aux Rois Maudits, je reconnais quand même la qualité des décors et des costumes). Elle a tenté de donner une nouvelle interprétation de l’oeuvre (finalement c’est à son honneur). Mais pourquoi n’avoir pas consacré toute cette énergie à créer quelque chose de neuf? On la sent capable de porter une épopée française et moderne.
Je trouve que les télévisions actuelles ont vraiment beaucoup trop tendance à faire des choses peu risquées, faciles ou à ses tourner vers un passé soit disant mythique (le cinéma aussi d’ailleurs, voir Les Bronzés 3). C’est dommage. France 2 aurait dû la pousser à créer son propre mythe au lieu de reprendre celui de Claude Barma.
Bref, si vous hésitez encore, optez pour la version ancienne sauf si le pathétique vous amuse, mais je ne suis même pas certaine qu’on puisse regarder la version 2005 au second degré.
En quelques mots...
Sarah Sepulchre [1972]
Sarah Sepulchre [2005]
Alexandre Marlier [1972]
Alexandre Marlier [2005]
Tilman Villette [2005]
Les Rois maudits
[1972] C'est grandiloquent, souvent récité, très résumé. Mais ça se regarde si on garde à l'esprit que ça date des années 1970. [2005] C'est raté. Regardez plutôt la version années 1970.