Who's Who

Marcel Bluwal

Marcel Bluwal est un nom qu’on croise souvent quand on lit des ouvrages qui parlent de la paléo-télévision ou, pour être plus simple, de la télévision des premiers âges. Les scientifiques utilisent ce terme un peu barbare de « paléo-télévision » pour désigner un média qui était encore à la recherche de sa forme et qui ne ressemblait pas tout à fait au média tel qu’on le connaît aujourd’hui. La télévision est alors plus un artisanat qu’un art ou qu’une industrie. Parmi les pionniers bricoleurs, on trouvait Marcel Bluwal.

Bricolage, je ne crois pas si bien dire… Quand il a été engagé, le directeur de la télévision lui a demandé s’il avait une caméra parce que la maison n’en possédait pas. Bricolage encore… Pour son premier reportage, il filme son épouse en train de faire des cocottes en papier! Il travaillait alors pour les programmes jeunesses. Il devait fournir une séquence muette tous les 15 jours. Lors d’un entretien accordé à l’INA, il rappelle que les sujets n’avaient pas d’importance. L’essentiel était d’occuper l’antenne. Heureusement, il passera rapidement à d’autres choses. Il créera notamment le premier feuilleton pour enfants de la télévision française: Les Aventures De Jacky.

Marcel Bluwal fait partie des jeunes diplômés qui sortent des écoles de cinéma dans l’immédiate après guerre et qui investissent la télévision dans l’espoir d’y faire leurs armes pour passer ensuite au cinéma. Or, le genre roi à l’époque était la dramatique en direct. Il insiste donc pour faire ses preuves. Sa première dramatique sera Le Pèlerin adaptée d’une pièce de Vildrac. Ca marche et il signe donc comme réalisateur. Le système voulait qu’un réalisateur fasse six dramatiques par an. Il fallait alors, trois semaines de préparation, trois semaines de répétition, deux jours de mise en place technique puis ils passaient en direct. Bluwal suivra ce rythme. C’est ce qui explique la longueur de sa filmographie. Beaucoup de ces œuvres sont perdues aujourd’hui puisque le magnétoscope n’existait pas à l’époque. Ne subsistent que les productions filmés sur du film cinéma.

Les codes de l’écriture télévisuelle s’écrivent au jour le jour. Il raconte, toujours lors d’un entretien pour l’INA, que c’est la pièce Sixième Etage qui lui a donné l’idée de créer un espace réaliste. Il parle d’ »espace piégeable » par quatre caméras comme cela se faisait à l’époque. André Bazin, alors critique télé, avait salué l’initiative.

Contrairement à ce qu’il croit au début, Bluwal ne passera pas vraiment au cinéma. Il ne réalisera que trois films: Le Monte Charge en 1962, Carambolages en 1963 et Le Plus Beau Pays Du Monde en 1999. En contrepartie, il inscrira son nom au générique des dramatiques les plus prestigieuses. On retient surtout son Dom Juan, mais il y a eu aussi Le Barbier De Séville, Le Mariage De Figaro. Il enchaînera ensuite avec les premiers feuilletons de la télévision française: Vidocq, Les Misérables, Les Nouvelles Aventures De Vidocq et la Série Noire.

Marcel Bluwal ne passe pas au cinéma donc, mais qu’à cela ne tienne. Il a participé à ce qu’on appelle aujourd’hui l’âge d’or de la télévision française. La télévision se voulait encore éducative et culturelle à l’époque. Il évoque le goût de créer pour le public, de le supposer intelligent. « On ne savait pas qu’à partir de là, la télévision allait battre de l’aile et descendre », ajoute-t-il. Il manifeste d’ailleurs contre les déclarations de Maurice Druon, le ministre des Affaires culturelles. Il défend la télévision comme objet de valeur. « La télévision c’est le principal instrument culturel des Français », scande-t-il. Pour lui, cinéma et télévision participent du même genre de fictions: l’audiovisuel. Il considère même que la télévision lui a permis de donner une dimension inédite au personnage de Dom Juan. Elle doit donc être respectée en tant que média et parce que ses spécificités renouvellent les écritures.

Son travail est largement reconnu. Il a d’ailleurs obtenu la Palme d’Or pour le film de télévision de Cannes. C’est peu connu, mais durant deux années, le Festival a remis une palme pour les oeuvres de télévision. En 1960, c’est Bluwal qui l’a remportée pour La Surprise. Un téléfilm rarement cité dans sa filmographie, qu’il a réalisé en trois jours et qu’il considère comme de la merde! En racontant l’anecdote pour l’INA, il se souvient qu’il était assis entre Fellini qui venait chercher la Palme d’Or pour la Dolce Vita et Antonioni. Recevoir une récompense pour un produit qu’il ne revendiquait pas, cela lui avait donné une drôle d’idée des festivals.

Bluwal a ensuite un peu disparu de la télévision. Il a enseigné au Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Catherine Frot a compté parmi ses étudiants. Il s’est tourné vers le théâtre principalement où il est toujours actif à l’heure actuelle. Il est aussi acteur. Il a joué dans un épisode de Nestor Burma et, plus récemment, dans Le Voyage En Arménie, un film réalisé par Robert Guédiguian en 2006. Ceci contredit d’ailleurs radicalement les propos de certains sites internet qui prétendaient qu’il est décédé en 1982!

Pour aller plus loin: pour les passionnés des dramatiques et de l’époque l’âge d’or, je ne peux que vous conseiller d’aller fouiller sur le site de l’INA. Des documents inestimables sont maintenant accessibles en ligne. Pour quelques euros, j’ai pu acheter les extraits d’interview dont je vous parlais dans la chronique. (ina.fr)

Sarah Sepulchre

Sarah Sepulchre est professeure à l’Université de Louvain (UCL, Belgique). Ses recherches portent sur les médias, les fictions, les cultures populaires, les gender studies et particulièrement sur les représentations, les liens entre réalité et fiction. Sa thèse de doctorat était centrée sur les personnages de séries télévisées.

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