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Dossiers Séries
Attention, spoilers dans cet article!

Twin Peaks (Mystères à)

Tout commence par la découverte du cadavre de Laura Palmer emballé dans du plastique. Ce drame bouleverse la ville de Twin Peaks qui voyait dans l’adolescente une jeune fille sans histoire, elle était appréciée de tous! Reine du lycée, petite amie du capitaine de l’équipe de football, distributrice de repas à domicile, la jeune fille était pourtant loin d’être aussi innocente qu’elle en avait l’air. Elle se droguait, se prostituait, avait plusieurs petits amis. Bref, elle menait une double vie et un mal la rongeait depuis toujours…

Le FBI dépêche un de ses meilleurs agents: Dale Cooper. C’est un homme droit, compétent, au visage juvénile, souriant, cheveux gominés et qui enregistre ses réflexions pour les envoyer à Diane, sa secrétaire. Il mène son enquête selon son intuition et les principes de la philosophie tibétaine.

Le shérif Truman et lui deviendront rapidement amis et mèneront ensemble l’enquête. Mais ils ne seront pas les seuls sur la piste du meurtrier: James Hurley (le petit ami de Laura Palmer) et Donna Hayward (sa meilleure amie) rechercheront aussi l’assassin. Ils seront aidés par Madeleine, la cousine de la victime (et par ailleurs son sosie parfait). Audrey Horne, elle aussi, investiguera sur le crime, mais plutôt pour en savoir plus sur les agissements et l’implication de son père, Benjamin Horne.

Autour de cette histoire centrale graviteront rapidement d’autres intrigues et d’autres personnages. Les amours contrariées de Norma Jennings et Ed Hurley, les intrigues immobilières des familles Packard (Catherine, Pete et Thomas Eckardt) et des Horne (Benjamin et Jerry), le couple de Bobby Briggs et Shelly Johnson, le trafic de drogue de Leo Johnson, Mike et Bobby Briggs, la vie de Lucy Moran et d’Andy Brennan.

Sans compter les multiples routes que l’on croise: celle des Hayward, du docteur Jacoby, du major Briggs (qui n’a rien à envier à Mulder et Scully), de la « Dame à la bûche », d’Albert Rosenfield, Dennis/Denise Bryson (incarné par David Duchovny) et Gordon Cole (interprété par David Lynch lui-même), notamment!!!

Les fils se nouent, se dénouent et s’enchevêtrent dans quelques lieux emblématiques: l’Hôtel du Grand Nord, le Jack N’A Qu’Un Œil, le Double R, le commissariat, la caverne du hibou, les cabanes de la Dame à la bûche et des Renault, mais surtout la forêt et les loges. Ces dernières sont deux: la White Lodge et la Black Lodge. Ce sont les sièges du bien et du mal, deux endroits mythiques par excellence.

Il est très difficile d’isoler l’un ou l’autre récit tellement ils sont entrelacés. Ils s’emboîtent à tel point qu’ils ne conduisent jamais à une solution, mais plutôt à un nouvel embranchement. Non seulement chaque personnage a un secret à cacher, mais, en plus, le fantastique et l’irrationnel viennent se mêler aux faits. Tout cela fait de Twin Peaks un monde de l’inquiétante étrangeté (formule de Freud).

Finalement, David Lynch parvient à terminer la série en beauté. Il nous sert un ultime cliffhanger complètement insoutenable (et qu’on devra pourtant avaler). Il dynamise l’ensemble des trames narratives et nous ramène au point de départ. Autant dire que la frustration est énorme!

Structure

Une campagne de pub exceptionnelle a précédé Twin Peaks sur les écrans. Le 8 avril 1990 à 21h00, tous les Américains sont devant leur téléviseur pour ne pas louper la réponse à la question du moment: « Qui a tué Laura Palmer? ». Les autres chaînes ont d’ailleurs réagit en y répondant à leur manière: « Qui s’en soucie? ».

Twin Peaks est une série construite en deux époques. La première saison (pilote et 7 épisodes) se termine sur un cliffhanger insoutenable: Audrey Horne se trouve en fâcheuse posture au Jack N’A Qu’Un Œil (la maison close du coin) et une silhouette tire sur Dale Cooper.

Pour maintenir les spectateurs en haleine, une nouvelle campagne promotionnelle est lancée pendant l’été et la première saison est rediffusée. Ainsi l’audimat est toujours aussi conséquent à l’automne suivant. Les 9 premiers épisodes de la deuxième saison rapportent la fin de l’enquête sur le meurtre de Laura Palmer.

David Lynch et Mark Frost auraient probablement préféré complexifier leur scénario sans dévoiler l’assassin, mais la chaîne en a décidé autrement. Mark Frost, lui-même, a annoncé que leur objectif était de développer le monde de Twin Peaks à l’infini.

La quête de l’assassin n’étant qu’un prétexte mobilisant un nombre important de personnages et les entraînant dans un mouvement perpétuel. Mouvement perpétuel que symbolisent les plans sur la chute d’eau, sur le feu tricolore ou la lune qui sont repris tout au long de la série sans changer d’un iota (et donc qui sont éternels!).

Un autre élément produit cet effet d’éternité. Chaque épisode se déroule en une seule journée et le suivant commence le jour d’après (sauf entre les seizième et dix-septième épisodes où passent trois jours, ce qui marque la rupture entre le premier et le deuxième cycle).

Les événements racontés dans Twin Peaks se déroulent dans un monde dont le rythme temporel est suspendu par rapport au nôtre. La ville semble, en effet, coincée dans le temps. Plus la série avance, plus Twin Peaks s’éloigne du monde réel. Selon les calculs, Cooper aurait fêté le Noël 1989 au trois centième épisode qui aurait été diffusé en 2001.

La série débarque en France sur La 5 en avril 1991. Malheureusement, la chaîne la programme le lundi face à des émissions de variétés très populaires. De plus, elle diffuse les épisodes par deux, ce qui impose au spectateur une concentration importante. L’audimat ne suit pas. Il faudra attendre 1994, et Canal Jimmy, pour que les français puissent suivre enfin un Twin Peaks fidèle à l’original.

Une série pas comme les autres

Quand on est fan de séries (je veux dire de choses bien faites, même si on peut parfois s’arrêter à du plus léger), on ressent un réel choc quand on aborde Twin Peaks pour la première fois. Choc devant une œuvre aussi grande. Comme la Chanson de Roland a été la première et seule véritable chanson de geste, Twin Peaks semble devoir rester la seule série de son genre. Quel genre? Bonne question.

Martin Winckler, auteur de l’article Twin Peaks dans le livre Les Grandes Séries Américaines De 1970 A Nos Jours, dit que c’est une série onirico-policière tout à fait inclassable. Il qualifie également Twin Peaks de « véritable OTNI: objet télévisuel non identifié ».

En France, la série a été classée dans la catégorie « policier ». Les Américains sont restés plus prudents. Les publicités de lancement spécifiaient qu’il s’agissait d’une nouvelle race de soap. Un très bon réflexe. Il est vrai qu’au niveau de l’intrigue, Twin Peaks s’apparente au soap opera: chaque personnage a ses secrets, ils sont très stéréotypés (un homme d’affaire, des adolescents, une femme fatale,…). Mais la surabondance des secrets donne justement son cachet à la série.

Dès le pilote, par exemple, le spectateur est confronté à six triangles amoureux différents! Le traitement du stéréotype est lui aussi caractéristique. Les personnages sont très typés, mais chacun reçoit un signe « anormal ». Ils sont tous atteints d’une manie ou d’une infirmité. Nadine est borgne, Gordon Cole est sourd, les cheveux de Leland Palmer blanchissent en une nuit, le frère d’Audrey est schizophrène, la mère de James est alcoolique, celle de Donna est en fauteuil roulant, Gérard est manchot, Cooper médite la tête en bas, idolâtre les beignets et le café, Sarah Palmer est quasiment folle, Jerry a un rapport fétichiste à la nourriture, la Red Room abrite un nain,…

Notons bien que sans ce décalage et sans le description du quotidien par des détails terre à terre, Twin Peaks pourrait passer pour une œuvre philosophique très lourde. C’est donc salutaire.

Sur le plan formel, Twin Peaks est également une œuvre atypique. Il est vrai qu’elle entre dans le format habituel d’une heure découpée en quatre actes. Mais, à côté de cela, rien n’est « normal ». La marque de fabrique la plus caractéristique est la lenteur. Un épisode de 60 minutes se découpe en général en 25 scènes. Twin Peaks n’a jamais dépassé les 18.

C’est une série, ou du moins elle a été présentée comme telle, mais elle ressemble plutôt à un film extrêmement long découpé en épisodes. En effet, la plupart des séries développent en un épisode voire deux des histoires cohérentes. Même s’il existe des macro liens entre les différents épisodes, il est quand même possible d’en louper un de temps en temps. Chose impossible avec Twin Peaks! La masse d’informations perdues serait trop conséquente.

Twin Peaks ne s’apparente pas seulement au film par cette intrigue homogène, mais aussi par la technique de tournage. Il n’est pas rare de croiser l’un ou l’autre plan « cinématographique » dans cette série. Par exemple, un gros plan sur de la vaisselle, un travelling arrière sur un trou du plafond, un fondu enchaîné artistique,…

Le générique lui-même illustre bien ce propos. Il est on ne peut plus différent des génériques d’autres séries. Différents plans se succèdent: un oiseau sur une branche, une cheminée d’usine, des machines au travail, une route de montagne, une chute d’eau, une rivière, et, surtout, une musique triste et envoûtante. On est loin de l’album des personnages, du rythme effréné de Sauvés Par Le Gong ou Beverly Hills 90210!

Beaucoup d’éléments font que Twin Peaks est une œuvre atypique. Cela est dû en grande partie aux personnalités qui l’ont imaginée. David Lynch à lui tout seul est une pointure. Son univers n’a pas fini de nous surprendre! Pour la série, il s’est associé avec Mark Frost (un des scénaristes de Hill Street Blues/Capitaine Furillo).

Ils ont d’abord travaillé sur plusieurs projets: Goddess (un film sur les dernières semaines de la vie de Marylin Monroe), One Saliva Bubble (l’histoire d’un nain qui voyage grâce à l’électricité) et The Lemurian (une histoire d’extraterrestres infiltrés dans la société américaine). Ils ont tous capoté. « Puis nous avons réfléchi à ce projet de mélanger une enquête policière et un soap opera ». Le scénario s’est alors construit. Il s’est aussi complexifié.

Au départ, on suit le meurtre de Laura Palmer, on termine avec des intrigues multiples d’amour, d’argent et de crimes. Les premiers épisodes développent la recherche du meurtrier. Dès le seizième, quand son identité est connue, le passé de Dale Cooper (c’est à dire une histoire d’amour avec Caroline Earle et ses relations avec Windom Earle son ex-coéquipier) prend le relais.

Cette deuxième saison a paru moins bonne aux spectateurs. A cause d’une diffusion de plus en plus tardive et de moins en moins régulière (notamment à cause de la Guerre du Golfe), l’audimat a baissé. Pourtant, l’important n’est finalement pas de connaître le fin mot de l’assassinat de Laura Palmer (fin mot que nous n’aurons jamais d’ailleurs), mais d’assister au développement de l’univers de Twin Peaks.

Un univers fantastique, irrationnel, angoissant, délirant, mais toujours avec énormément d’humour. A ce point de vue, la série ne décevra jamais. Les auteurs ont joué jusqu’au bout la carte du mystère et de l’humour. Ils ne nous ont épargné aucun rebondissement. Ils ont entremêlé les histoires, les thèmes. Twin Peaks est une œuvre de chef!

Twin Peaks met en scène la face cachée de l’humanité. Derrière une ville exemplaire, une fille exemplaire, des gens normaux, se cachent les pires dépravations. Le mal est partout. A Twin Peaks, rien n’est prévisible et tout bascule. C’est ça le message de la série, message qui dépasse largement le nom du meurtrier de Laura.

Twin Peaks ou le culte du détail

Twin Peaks est un album de souvenirs, la boite aux trésors que l’on cache tous au fond d’un placard. David Lynch y a semé des éléments autobiographiques. Il connaît très bien la région où se déroule l’intrigue (et où le tournage a eu lieu): il s’agit de Snoqualmie Falls, à trente kilomètres de Seattle. Son père était ingénieur des Eaux et Forêts et l’emmenait souvent avec lui. C’est ainsi qu’il a appris à apprécier les bois. Petit détail, Madeleine Fergusson est originaire de Missoula dans le Montana, la ville natale de David Lynch.

Twin Peaks est aussi un annuaire de références à la télévision elle-même et au cinéma. L’arme qui tire sur Dale Cooper est un Walter PKK, celle de James Bond. Le juke-box de Norma Jennings au Double R semble tout droit sorti de Happy Days. Le manchot s’appelle Gérard comme celui du Fugitif. Le haut-parleur par lequel Cooper communique avec Gordon Cole ressemble à celui de Charlie Townsend, l’employeur des Drôles De Dames.

Et puis, Laura la blonde et Madeleine la brune renvoient aux personnages joués par Kim Novak dans Sueurs Froides (Vertigo) d’Alfred Hitchcock (l’une des deux s’appelait d’ailleurs Madeleine). Leland Palmer a réellement existé. Il jouait dans des comédies musicales. Il y a par ailleurs également un nain dans Le Prisonnier.

Le tournage de la série lui-même est une affaire de famille. Josie Packard aurait dû être jouée par Isabella Rosselini, la compagne de David Lynch à l’époque. Mary Jo Deschanel (Eilen Hayward) est l’épouse de Caleb Deschanel, un des réalisateurs du feuilleton. Jili Rogosheske (Rudy, la serveuse du Grand Nord) s’est mariée à Robert Engels, coproducteur et scénariste de nombreux épisodes.

Le cadavre qui pointait son index sur un jeu d’échec, et qui fut retrouvé dans le bureau de Truman est incarné par Craig MacLachlan, le frère de Kyle (Dale Cooper). Le Journal Secret De Laura Palmer a été écrit par Jennifer Lynch, la fille de David. Warren Frost, le père de Mark, tient le rôle du docteur Hayward. Son frère Scott a écrit des épisodes et, surtout, l’Autobiographie de Dale Cooper: Ma Vie, Mes Enregistrements. On voit donc qu’il n’y a pas que dans l’intrigue que les éléments s’entrecroisent.

Avec son lycée, son église, sa station de police, son hôpital, sa station service (Big Ed’s Gas Farm), son relais routier (Bang Bang Bar) et son restaurant (Double R), Twin Peaks ressemble à une ville typique des années cinquante. Pour un peu, on se croirait dans Happy Days.

Laura est la reine de l’école. Elle sort avec Bobby Briggs, le capitaine de l’équipe de football. Donna est une « fille modèle » qui sort avec le jeune motard rebelle et romantique (James). La télévision américaine des années ’80 (celle de Reagan) a été très influencée par le milieu de siècle. David Lynch n’y échappe pas, mais lui ne peut s’empêcher de voir l’horreur sous la normalité. Horreur que le format hebdomadaire lui permet de disséquer en de multiples détails. L’allusion est toujours plus forte que l’exposition! C’est ça aussi la façon Lynch d’utiliser les formats habituels, les thèmes habituels, les stéréotypes pour se décaler.

Twin Peaks, le culte

Twin Peaks est une œuvre globale. David Lynch ne s’est pas contenté de bichonner son scénario. Pour lui, tout participe à la qualité de la série. Cela va du décor le plus banal, au rebondissement le plus important. Le soin apporté aux décors est impressionnant et, quand on parle de décors pour Twin Peaks, il faut inclure les lieux naturels et oniriques. David Lynch les a différenciés par l’éclairage (les visions sont souvent baignées d’une lumière plus forte). Nous avons déjà parlé du caractère différent et « cinématographique » du traitement de l’image ainsi que du rapport au temps et à la philosophie.

David Lynch a aussi porté son attention à la musique. C’est Angelo Badalamenti qui a composé toutes les musiques de Twin Peaks, parfois sur des paroles de David Lynch. Julee Cruise interprète les chansons. Elle apparaît dans son propre rôle dans la série et ce à des moments emblématiques (à vos DVD!). C’est une artiste pour laquelle David Lynch avait déjà composé.

La musique ponctue les événements, ajoute des atmosphères. Trois thèmes sont récurrents: le générique, le thème de Laura (mélodie funèbre) et celui de Audrey Horne (plus jazzy, porteur de suspens et d’ironie). La musique fait partie intégrante de la série: il n’est pas rare que les personnages claquent des doigts en rythme ou fredonnent les chansons!

Les dialogues sont aussi importants. Ils reflètent les thèmes du double et du secret. En effet, ils sont truffés de double sens, jeux de mots, allusions, métaphores. Le titre est déjà significatif. Twin Peaks, c’est à dire « les pics jumeaux » (déjà le thème du double). Mais « to peek » en anglais signifie « regarder par le trou de la serrure », ce qui ajoute un côté voyeur que les habitants de la ville ne renieront certainement pas. Toutes ces subtilités n’ont pu être rendues par la version française.

D’autant plus qu’elle souffre de quelques erreurs impardonnables. « We’ll go dutch » fut traduit par « nous mangerons hollandais » et pas « nous partagerons la note ». « Red herring », qui signifie une « fausse piste », est devenu le « coup du hareng ». Il arrive que Cooper nomme son interlocuteur Frank et Pete dans la même phrase. Moins grave, la traduction de « Fire Walk With Me » donne « le feu marche avec moi » ou « feu marche avec moi », mais personne n’a pensé que cela pouvait vouloir dire « marche dans le feu avec moi ».

Au vu de la qualité du programme, Twin Peaks est vite devenu culte. Le merchandising s’est développé à une vitesse grand V. Le marché a été inondé de tartes Double R ou de tasses à café à l’effigie des pics jumeaux. Snoqualmine Falls est maintenant le théâtre d’un pèlerinage constant de fans. Plus original, une marque de café japonaise a commandé une pub avec Dale Cooper, Lucy Moran, Andy Brennan, Hawk et Shelly Johnson.

Beaucoup de références sont faites à Twin Peaks: tout le monde connaît au moins de nom cette célèbre Laura Palmer. La série Un Flic Dans La Mafia (Wiseguy) a rendu hommage à Twin Peaks: dans le cycle Stranger In A Strange Land, qui se développe des épisodes 57 à 61 (troisième saison), Vinnie Terranova devient shérif adjoint dans une petite ville forestière sur les traces d’un serial killer. La ville s’appelle Lynchboro (!!!).

Twin Peaks, entre le bien et le mal

C’est Bob qui a tué Laura Palmer! Voilà, comme ça vous le savez avant de regarder… Ce qui est bien avec Twin Peaks, c’est qu’on peut effectivement révéler le nom de l’assassin sans rien révéler du tout! La question n’est plus « Qui a tué Laura Palmer? », mais « Qui est Bob? »

Bob est un personnage complexe… d’autant plus qu’il n’est pas incarné. Bob est proche du « trickster », un demi-dieu amérindien qui court le monde tantôt sous forme humaine, tantôt animale et qui joue des tours aux humains (d’où son nom, « le farceur »). Bob s’apparente aussi aux démons parce qu’il possède les âmes. Il est aussi proche des vampires parce que sa réflexion dans les miroirs est différente de son aspect physique.

Comme il est une figure liée au feu (« Fire Walk With Me » est sa phrase préférée et Laura dit qu’elle sent son feu en elle), il se rapproche aussi de Lucifer. D’ailleurs son apparition est souvent ponctuée par des sons de flamme, par un éclairage intense.

Mike est lui aussi un être parasite. Il fut d’ailleurs le compagnon de Bob. Seulement il a vu la figure de Dieu et s’est repenti. En signe de changement, il s’est coupé le bras. Depuis Mike habite le corps d’un représentant de chaussures, Philippe Gérard. Il dit de Bob que c’est un esprit qui a besoin de l’autre pour se nourrir de ses émotions, et notamment, de sa peur et de son plaisir.

Bob fait partie des habitants des Loges où réside le double de chaque homme. De qui est-il le double alors? Peut-être de Robertson, le voisin de Leland Palmer lorsque celui-ci était enfant. Leland l’a d’ailleurs reconnu sur le portrait robot. La question reste posée, il est probable que nous n’aurons jamais la réponse. Bob est, en tous cas, le méchant le plus complet de l’histoire de la télévision. Pas parce qu’il est le plus cruel, le plus intelligent ou que sais-je encore, mais parce qu’il est la somme de tous ces méchants et la substance de tous les maux.

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur Bob. La révélation de l’assassin de Laura Palmer dans le treizième épisode est exceptionnelle tant au niveau formel que de l’intrigue. Elle mériterait quelques mots ici. Beaucoup de questions n’ont pas été abordées. Quels personnages parasite-t-il? Ces personnages sont-ils devenus méchants à cause de lui ou l’étaient-ils déjà avant? Comment se termine la série?

Cependant, il est difficile de les exposer sans révéler une bonne partie des surprises que vous réserve la série. Nous nous tairons donc. Pour ceux qui veulent en savoir plus nous vous renvoyons aux différents livres sur Twin Peaks, et notamment le Guide du Téléfan de Stéfan Peltier.

Les lieux qui représentent le bien et le mal sont les Loges. Elles sont deux: La White Lodge et la Black Lodge. La Loge Blanche est l’endroit où résident les esprits qui règnent sur l’homme et la nature. Elle est la demeure du bien. La Loge Noire est son équivalent maléfique. Elle abrite « ceux qui vivent sur le seuil », les doubles de chaque esprit. C’est peu à peu que nous sont révélées les indications sur ces lieux symboliques.

Dans Twin Peaks, beaucoup de monde cherche ces loges ou simplement y croit sans les avoir jamais vues. Hawk, l’amérindien, est celui qui semble le mieux les connaître. L’Etat s’y intéresse de près, en tous cas: le major Briggs est chargé d’une mission ultra secrète qui ressemble à celles de Mulder et Scully. C’est pourquoi la forêt de Ghostwood est très surveillée. C’est, en effet, le lieu où elles sont situées (Ghostwood signifie d’ailleurs littéralement « bois de fantômes »).

Stéfan Peltier décèle dans le plan de la forêt une carte de l’inconscient de chacun. Si le bois est très fréquenté, peu de monde réussit à y survivre (c’est là que Laura est morte). Seules deux personnes y résident: Windom Earle, mais on s’apercevra vite qu’il est loin d’être très équilibré, et la Dame à la bûche.

Celle-ci peut paraître folle au premier abord: elle parle à son bout de bois et traduit ses dires. Cependant, elle est surtout « initiée ». Elle était là, la nuit où Laura est morte. « Noir. Rires. Les hiboux volaient. Beaucoup de choses étaient bloquées. Rires. Deux hommes. Deux filles. Des lampes qui passaient dans les bois, par-dessus la crête. Les hiboux étaient proches. Le noir faisait pression sur elle. Et puis le calme. Plus tard, des pas. Un homme est passé. Cris. Loin. Terribles. Terrible. Une voix. (…) Fille. Plus loin, au-delà de la crête. Les hiboux se sont tus ». Vous savez maintenant ce qui s’est passé…

Ne cherchez cependant pas deux lieux distincts dans Twin Peaks. Vous ne trouverez que la Chambre Rouge (Red Room). La frontière entre le bien et le mal n’est donc pas si nette. D’ailleurs Laura n’est ni pure, ni totalement mauvaise. Bob n’est pas un tueur en tant que tel, mais plutôt un parasite, un farceur. Les personnages ont tous des tares,… Twin Peaks est loin s’être un récit manichéen. David Lynch, nous l’avons déjà dit, se garde bien d’alimenter les stéréotypes.

La Chambre Rouge est un lieu en blanc, noir et rouge. Le sol est recouvert d’un carrelage noir et blanc en zigzag. Les murs sont drapés de rideaux rouges. Il n’y a ni fenêtres, ni portes. Si le mysticisme de ce lieu est évident au téléspectateur qui a vu toute la série, cela n’a pas toujours été le cas.

Au départ, cette Chambre Rouge n’était qu’un délire esthétique de plus. Et quel délire puisque les acteurs parlent à l’envers (technique du « back-talk »), Lynch utilise des stroboscopes, il perd le spectateur par un jeu de caméra très étudié et un montage étourdissant,… Le nain qui habite les Loges dit que la Red Room est la salle d’attente. C’est surtout le lieu où les actions les plus importantes de la série se déroulent: c’est là que Laura dévoile à Cooper qui est son assassin, c’est là que Cooper affronte Windom Earle,…

Dans les Loges demeurent les doubles de chaque esprit, mais rien n’est aussi simple avec David Lynch. On y retrouve, par exemple, un nain et un géant qui n’apparaissent pas dans le monde réel, Bob y a accès mais sort quand il veut, Bob n’a pas de double dans le monde réel,…

Des interprétations existent. Elles sont assez convaincantes même si aucune ne parvient à résoudre totalement le mystère. Nous ne les exposerons pas ici, tout simplement parce qu’il faut avoir vu la série pour les comprendre. Surtout parce qu’elles sont bien trop longues.

Nous vous renvoyons donc encore aux études réalisées sur Twin Peaks. Et surtout, si vous ne l’avez pas encore fait, regardez la série parce que, souvent, le langage humain est insuffisant…

En quelques mots...

Sarah Sepulchre
Alexandre Marlier
Sophie Sourdiaucourt

Avis global

Le cadavre de Laura Palmer est retrouvé le long d'une rivière. L'adolescente apparemment parfaite cachait une vie compliquée. Tout comme cette ville du fin fond des Etats-Unis.

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Dossiers Séries

Le Podcast

Intervenants: Sarah Sepulchre et Alexandre Marlier.

Durée: 17’39 min.

La Fiche Série

Titre Original:
Twin Peaks
Thème musical:
Twin Peaks Theme (A. Badalamenti)
Durée:
28 épisodes de 45 minutes, soit 2 saisons + 2 épisodes de 90 minutes
Pays d’origine:
USA
Chaîne(s) de 1ère diffusion:
ABC
Période(s) de diffusion:
Du 8 avril 1990 au 10 juin 1991
Genres:
Soap Opera, Policier, Drama, Fantastique
Créé par:
David Lynch, Mark Frost
Producteurs exécutifs:
David Lynch, Mark Frost
Produit par:
Worldvision Entertainment, Lynch-Frost Productions Inc.
Kyle MacLachlan:
Agent Dale Cooper
Michael Ontkean:
Shérif Harry S. Truman
Mädchen Amick:
Shelly Johnson
Dana Ashbrook:
Bobby Briggs
Richard Beymer:
Benjamin Horne
Lara Flynn Boyle:
Donna Hayward
Sherilyn Fenn:
Audrey Horne
Sheryl Lee:
Laura Palmer/Madeleine Ferguson
Ray Wise:
Leland Palmer
Piper Laurie:
Catherine Packard Martell
Grace Zabriskie:
Sarah Palmer
Michael J. Anderson:
Le petit homme venu d’ailleurs

Articles Connexes

Bibliographie

  • ALTMAN Mark, Twin Peaks behind the scene, Pioneer Books, 1990.
  • FROST, Scott, The Autobiography Of F.B.I. Special Agent Dale Cooper: My Life, My Tapes, 1991, Paper Book (traduit par: Dale Cooper: Ma Vie, Mes Enregistrements, Press Pocket, n° 3941, ISBN : 2-266-04697-7)
  • Génération Séries, Hors série n°1
  • Génération Séries, n°2 (janvier 1992), n°3 (été 1992), n04 (automne 1992) ; n°34 (oct-nov-dec 2000)
  • LAVERY David (dir.), Full of Secrets :Critical Approaches to Twin Peaks, Wayne State University Press, 1994.
  • LYNCH, Jennifer, The Secret Diary of Laura Palmer, Presses Pocket, 1990. (Traduit : Le Journal secret de Laura Palmer, Paris, France Loisirs, 1991)
  • PELTIER Stéfan, Twin Peaks : une cartographie de l’inconscient, DLM Editions, 1997. Coll. :Guide du téléfan.
  • Wrapped in Plastic, bimensuel américain publié entre 1992 et 2005 (75 numéros)

Crédits Photos:
Lynch-Frost Productions Inc.Worldvision Entertainment

Sarah Sepulchre

Sarah Sepulchre est professeure à l’Université de Louvain (UCL, Belgique). Ses recherches portent sur les médias, les fictions, les cultures populaires, les gender studies et particulièrement sur les représentations, les liens entre réalité et fiction. Sa thèse de doctorat était centrée sur les personnages de séries télévisées.
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