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Dossiers Séries

V

« To the heroism of the Resistance Fighters – past, present and future – this work is respectfully dedicated » (Dédicace qui apparaît au générique des mini-séries.)

V est une série moins homogène que ce que pourrait croire le public francophone (la série a été diffusée sous le même titre tout au long de sa diffusion française). Elle a débuté sous forme d’une mini-série en deux téléfilms. Ils furent diffusés par NBC les 1er et 2 mai 1983. La série a été créée par Kenneth Johnson.

Devant le succès public de ces épisodes, la chaîne commande une deuxième mini-série. Mais Johnson, en désaccord avec certaines orientations, se désolidarise. Robert Singer et Daniel H. Blatt deviennent les producteurs exécutifs du second opus. V: The Final Battle est diffusé sous forme de trois téléfilms entre le 6 et le 8 mai 1984.

NBC décide alors de rendre la fiction régulière. Dès la saison suivante, elle devient une série hebdomadaire toujours orchestrée par Robert Singer et Daniel H. Blatt. Elle comptera 19 épisode (un 20ème en préparation ne sera jamais tourné). La qualité décline (en raison d’un budget raboté) et le public ne suit plus.

V: l’histoire

L’intrigue de V est construite sur le mode du « et si… ». Et si un leader fasciste prenait le pouvoir aux Etats-Unis (et par extension, dans nos sociétés occidentales), que se passerait-il? Plusieurs sources citent des interviews de Kenneth Johnson, le créateur de la série, qui vont dans ce sens. Francis Valery, dans son Guide Du Téléfan, cite un extrait publié en 1983 dans L’Ecran fantastique. « Il y a déjà quelques années que j’observe la montée de certains éléments fascistes aux Etats-Unis: la création de milices et ainsi de suite. J’avais très envie de raconter ce qui se passerait si nous nous retrouvions pour de bon dans un état policier. Et, en particulier, comment les Américains bien différents réagiraient à une occupation par une armée fasciste, telles qu’en ont connu les Français lorsque les Allemands les ont envahis au début des années ’40 ».

Le fanzine Arrêt Sur Séries (numéro 4) nous apprend que c’est une nouvelle de Sinclair Lewis qui a inspiré Kenneth Johnson: It Can’t Happen Here, publiée en 1935. L’idée de faire un téléfilm sur la manière dont réagiraient les Américains à la mise sur pied d’un régime autoritaire séduit le président de NBC. Arrêt Sur Séries précise… « à un détail près: que les fascistes ne soient pas des Américains ». Amateur de science-fiction semble-t-il, Kenneth Johnson a choisi son envahisseur fasciste dans les étoiles, plus particulièrement sur Sirius.

Toujours selon le fanzine, Johnson cite une autre source: Damon Knight et sa nouvelle Comment Servir L’Homme? (1953). Le récit raconte comment des extraterrestres entrent en contact avec l’humanité. Sous couvert de leur faire cadeau de leur savoir et de leur faire visiter leur planète, les extraterrestres kidnappent des hommes pour les manger. L’intrigue a déjà été adaptée par Rod Serling pour son anthologie La Quatrième Dimension.

Le téléspectateur assiste donc à l’arrivée de vaisseaux extraterrestres sur Terre. Comme les protagonistes, il apprend qu’ils sont au nombre de 50 positionnés sur 50 grandes villes de par le monde. Les étrangers se présentent amicaux et prêts à partager leurs découvertes scientifiques avec les humains en échange d’un petit coup de main pour les approvisionner en produits chimiques qui leur permettront de mettre fin à leurs problèmes environnementaux. Peu à peu, on se rend compte cependant que les Visiteurs sont loin d’être honnêtes et que leurs motivations sont loin d’être avouables.

Ils veulent pomper l’eau de la Terre et entreposer les humains dans leur garde manger. L’étau qu’ils ont resserré autour des humains est sans failles. La manière dont ils sont entrés en contact avec les peuples terriens semble témoigner de leur bonne foi. Ils ont respecté les organes officiels en s’adressant au secrétaire général de l’ONU. Ils ont révélé le vaccin contre les cancers. Ils semblent totalement amicaux et nous ressemblent beaucoup. De surcroît, ils ont besoin de nous pour leurs matières premières…

Sauf que tout cela n’est que mensonge. Ils n’ont pas besoin de nos matières premières, ils les rejettent d’ailleurs dans l’atmosphère pour ne pas s’embarrasser de leur entreposage. Ils s’apparentent plus aux lézards qu’aux singes. Ils mangent des souris et des oiseaux vivants à défaut d’hommes… pour le moment.

Et surtout, ils s’y connaissent en contrôle et manipulation des médias. Ils commencent par sympathiser avec des journalistes (Kristine Walsh devient leur porte-parole officielle). Puis ils ferment les organes de presse non officiels. Difficile dans ces conditions d’apprendre la vérité ou une autre vision des choses. Ils leur est donc très facile de verser dans la désinformation et de lancer la rumeur d’une pseudo-rébellion de scientifiques.

Ils ne leur reste plus qu’à kidnapper les chefs d’État (sous couvert de les protéger), de prétendre que les gouvernements terriens leur ont demandé de rétablir l’ordre pour établir la loi martiale. Avant que les humains ne s’en rendent compte, des affiches de propagande fleurissent sur les murs, la délation est favorisée, certains opposants disparaissent, les autres ont peur, des barrages routiers créent des ghettos et le contrôle des communications téléphoniques interdit la circulation des informations. L’homme est pris au piège.

C’était sans compter sur la Résistance. Des gens parviennent à passer au travers des mailles du filet, à se cacher, à s’organiser, à s’approvisionner en vivres, médicaments, armes et à attaquer le régime. La Résistance est d’abord composée des scientifiques pourchassés et leurs familles. Puis, ils sont rejoints par d’autres personnes y compris des Visiteurs non partisans. Il existait déjà une Résistance à l’intérieur des vaisseaux avant qu’ils n’atteignent la Terre. La Cinquième Colonne s’oppose au Leader (en fait un véritable dictateur même pour sa planète). Ils aideront les humains. Puis, il existe des individus gentils comme Willie.

Lors de la première mini-série, on assiste à la création de la Résistance. Dans la seconde, elle est assez forte pour trouver une toxine qui tue les Visiteurs, à la produire en masse pour la déverser dans l’atmosphère terrestre. Ils ont également prévu un antidote pour leurs alliés de la Cinquième Colonne. Bref, à la fin des 5 premiers épisodes, la Terre appartient de nouveau aux Terriens.

Mais les Visiteurs font preuve d’une ténacité étonnante. Ils reviennent. Peut-être parce que, nous le comprendrons grâce à une conversation entre Diana et Lydia, leur planète est devenue inhabitable. Diana a le goût de la revanche. La Terre est de nouveau occupée, la Résistance reprend du service.

Cette fois la majorité des intrigues se centrent autour d’Elizabeth. L’enfant Stellaire est née d’une mère humaine (Robin Maxwell) et d’un père Visiteur (Brian). En l’espace d’un peu plus d’un an, elle a été conçue, est née et a atteint l’âge de 16 ans. Mais elle possède surtout des dons paranormaux qui intéressent les Visiteurs. À la fin des 19 épisodes de la série régulière, elle embarque dans le vaisseau du Leader qui souhaite qu’elle soit un pont entre les deux civilisations. Les disciples de Zon pensent qu’elle est une espèce de messie.

Mais ce n’est pas tout, un vingtième épisode était prévu (il n’a jamais été tourné). On devait se rendre compte que le Leader est loin d’être le chef spirituel qu’on pensait. Il est un simple dictateur avide de pouvoirs, de richesses et qui veut mettre la main sur l’Anyx.

Elizabeth connaît maintenant les secrets des Anciens, leurs écrits et l’existence de cette source de tous pouvoirs. L’Anyx a été apporté sur Terre jadis par un vaisseau Visiteur. Si Elizabeth met la main dessus les Terriens prendront l’avantage sur les extraterrestres. Le livre des Anciens dit que « l’Anyx est là où ton cœur chante ». Elizabeth doit donc, avec l’aide des Résistants, voyager afin de trouver cet endroit. Diana est chargée de le trouver avant elle. L’auteur du site Vicki_98 pense que cette nouvelle intrigue pouvait relancer la série:

« V had become a Mission: Impossible type series, and this change of focus would have turned it into a « road show » along the lines of The Fugitive, Planet Of The Apes, and Logan’s Run, with our heroes moving from town to town in search of a specific objective, in this case the Anyx. It’s easy to assume that Diana would have to pursue them without the Mothership, probably forced to travel via shuttle; and Philip would continue his efforts with the Fifth Column. This episode would have (finally) introduced more science fiction elements, many of which could easily fit into the Star Wars universe. Can anyone deny that the sequences between Diana and the Leader sound amazingly similar, at least in tone, to those between Darth Vader and the Emperor in Return Of The Jedi? Still, this would have been a welcome addition to the show, and one which might have kept it on the air longer ».

Selon Francis Valery, la Warner avait pensé tourner une deuxième série intitulée V: The Next Chapter, voire une troisième V: The Rebirth. Le Génération Séries numéro 14, nous renseigne pour sa part sur la manière dont se serait terminée la seconde mini-série (V: The Final Battle) si Kenneth Johnson était resté dans l’équipe.

Rappelez-vous: Elizabeth (elle a encore 7 ans) sauve la Terre en arrêtant le processus d’autodestruction du vaisseau-mère grâce à ses pouvoirs. Dans les plans de Kenneth Johnson, Elizabeth ne possédait pas de pouvoirs spéciaux. Au moment où Diana lançait le système d’autodestruction du vaisseau, c’est Martin qui sauvait la Terre en se sacrifiant. Les Résistants suivaient Diana dans une autre navette et entraient dans un vaisseau. Le créateur prévoyait ensuite de tourner d’autres téléfilms (et non pas une série régulière) qui racontaient comment les Résistants tentaient de sauver les humains emprisonnés dans les vaisseaux extraterrestres. L’autre race extraterrestre (dont il est question une fois dans les mini-séries) ennemie des Visiteurs venait sauver la Terre. Pas commercial selon NBC… Ça s’est pourtant fait depuis.

V: quelques portraits

Bien sûr il y a Mike et Julie, bien sûr il y a Nathan Bates, Robert Maxwell, Robin, Elizabeth. Mais savez vous qui est, en fait, mon personnage favori dans cette série? C’est William, plus connu sous le sobriquet Willie et interprété par Robert Englund. Ben oui. Au départ, Willie est surtout dépeint comme un empoté.

Il devait originellement être en service dans les pays du Moyen-Orient et à donc appris l’Arabe. Son Anglais est laborieux au début et ça ne lui permet pas vraiment de dialoguer avec ses collègues (Caleb en particulier). C’est Harmony qui brisera la glace. Malgré sa timidité et sa maladresse, Willie est généreux et très courageux. Malgré l’agressivité de Caleb à son égard, il le sauvera lors d’un accident de travail. Quand Caleb perd son fils, Willie se rend aux obsèques espérant peut-être lui apporter réconfort et amitié, mais Caleb n’est pas prêt pour ça. Harmony lui glissera à l’oreille: « Tu auras essayé ».

Une fois qu’il est au sein de la Résistance, d’abord comme prisonnier (il a failli servir de cobaye pour la toxine rouge), c’est surtout sa gentillesse qui domine. Vis à vis de Harmony, des animaux qu’il soigne, mais également vis à vis d’Elizabeth. Dès sa naissance, il est le seul à pouvoir décoder les signes, à conseiller Julie. Quand elle aura pris sa forme adulte (il sera le seul à la reconnaître), il sera son conseiller, son instituteur, son guide. Il restera sur Terre quand Diana est capturée et que les Visiteurs se retirent. Il travaillera au Club Créole d’Elias Taylor. Il n’est pas d’accord avec les options suivies par le Leader et combattra toujours aux côtés de la Résistance, aidant à décoder les messages extraterrestres et apportant sa vision des choses. Il est devenu végétarien.

Au sein de la Résistance, un autre personnage m’a toujours accroché, c’est le cynique Ham Tyler, sous les traits obscurs de Michael Ironside. Lui et Donovan se détestent. Et on comprend pourquoi. Là où Donovan privilégie les individus (il veut sauver son fils ou Julie), Ham favorise le groupe, la cause (Sean est un espion converti, il est perdu ; Julie a probablement subi un lavage de cerveau, elle n’est plus d’aucune utilité, ne perdons pas notre temps à la sauver).

Ham Tyler n’est pas à quelques vies près, surtout quand il s’agit de Visiteurs. Il est prêt à sacrifier Willie pour tester la toxine rouge, il se contrefout de l’antidote au poison que Donovan veut administrer à la Cinquième Colonne (il les préférerait tous morts).

Tyler n’y va également pas par quatre chemins, il n’est galant avec personne et surtout pas les filles. Il n’a aucune confiance en la capacité de Julie à mener la Résistance surtout après les tortures qu’elle a subies dans le vaisseau-mère. Mais Tyler est le type dont la Résistance avait besoin. Il leur apporte les moyens de mener leur combat (armes, véhicules, explosifs) et l’expertise qui leur manquait. Ham est un mercenaire spécialiste des missions d’infiltration. Il vient de la part du Front de Libération du Monde pour rallier la Résistance de Los Angeles au réseau mondial.

Sous sa carapace se cache un veuf. Sa femme (Vietnamienne) et sa fille ont été tuée par le napalm durant la Guerre du Vietnam. Pendant la seconde invasion, il sera d’abord engagé par Nathan Bates pour kidnapper Diana et simuler sa mort afin que l’homme d’affaire lui extorque quelques secrets scientifiques. Mais il rejoint à nouveau la Résistance quand Diana s’enfuit. Il quittera le groupe de Los Angeles avec Chris Faber pour escorter Robin Maxwell à Chicago où ils combattent ensemble.

La résistance est également composée de Julie Parrish (Faye Grant), Mike Donovan (Marc Singer), Elias Taylor (Michael Wright), Robert Maxwell (Wichael Durrell), sa fille Robin (Blair Tefkin), Kyle Bates (Jeff Yagher) et Elizabeth (Jenny Beck, puis Jennifer Cooke) pour ne citer que les principaux.

Au rang des visiteurs, une méchante que j’aime parmi les méchants télévisuels, c’est bien entendu Diana (Jane Badler). Elle est d’abord simple scientifique en chef de l’expédition, mais elle se retrouve vite à sa tête. Diana est une ambitieuse de premier ordre, prête à tout pour réussir. On comprend très vite qu’elle a couché avec le Leader. Mais elle ne s’arrête pas là puisqu’elle assassine à longueur d’épisodes.

Diana est souvent confrontée aux intrigues d’autres femelles reptiles: Pamela, par exemple, dans la deuxième mini-série. Diana est quelqu’un de très cruel. C’est elle qui se charge de la torture au sein du vaisseau-mère. Elle mène les séances de conversions (voir celle de Julie ou celle du Président Américain), les interrogatoires (notamment celui de Mike Donovan). C’est sans scrupule qu’elle décide de mener une expérience médicale à l’insu de Robin et de lui faire concevoir une enfant hybride.

Quand elle se sent acculée, elle est du genre à souffler sur le château de cartes, histoire de ne pas être la seule à tomber, même quand il s’agit de la terre toute entière qu’elle menace (deuxième mini-série). Elle trouvera une rivale de choix en la personne de Lydia qui la déteste cordialement.

Lydia retournera sur sa planète pour dénoncer les agissements de Diana, elle reviendra en compagnie de Charles, un envoyé spécial. A trois, ils forment un véritable nœud de vipères d’amour-haine. Lydia est amoureuse de lui, mais Charles demande Diana en mariage. Cette dernière n’est pas très heureuse parce que cela signifie qu’elle devra retourner sur sa planète pour élever ses enfants. Comme Charles fait partie de la maison de Ramalon, elle ne peut refuser. Elle utilise un poison que Lydia lui destinait pour assassiner Charles et rester là où elle est.

Les Visiteurs comptent quelques officiers sans scrupule: Steven, chef de la sécurité, Brian qui est aussi un ambitieux, Lydia, le commandeur suprême John (qui malgré son manque de compassion pour le genre humain, refusera de mettre le système d’autodestruction du vaisseau-mère en route). Mais il y a aussi les membres de la Cinquième Colonne: Martin, Barbara qui se sacrifie pour Mike Donovan, Philip le jumeau de Martin venu sur Terre pour venger son frère et qui deviendra en fait l’ami de Mike.

Entre ces deux camps, on retrouve les collaborateurs. D’abord les assoiffés de pouvoir comme Daniel Bernstein, de richesses comme Eleanore Dupres ou de gloire comme la journaliste Kristine Walsh (elle se reprendra trop tard et en mourra).

V: encyclopédie de science-fiction

Nous l’avons dit déjà, l’une des sources d’inspiration de Kenneth Jonhson fut la nouvelle de Damon Knight « Comment Servir L’Homme? » (1953). Un nec plus ultra de la science fiction qui a atteint le statut de légende grâce à l’adaptation réalisé dans le cadre de l’anthologie « La Quatrième Dimension« . Rod Serling, le créateur de la série, était d’ailleurs lui-même une légende de la science-fiction! Mais finalement, V est-elle un monument de la S-F?

Une déclaration de l’écrivain A. C. Crispin, auteur d’une novélisation des téléfilms en 1983, nous semble éclairante. Elle est reprise du numéro 4 d’Arrêt Sur Séries déjà cité. « V, en tant qu’œuvre de science-fiction, est plutôt médiocre… Robert A. Heinlein l’a fait en mieux il y a 35 ans (avec The Puppet Masters -en français Marionnettes Humaines- en 1951), ndlr). L’idée d’extraterrestres venant sur Terre pour se nourrir et voler notre eau… Je veux dire, il y a de la glace dans le système solaire. Ils auraient pu faire fondre des astéroïdes couverts de glace. Une civilisation capable de voyager dans l’espace serait tout de même capable de créer de l’eau. Nous pouvons le faire, mais c’est très coûteux et nous n’en avons pas besoin. Il y a beaucoup de choses dans V qui n’ont pas de sens ». Et l’auteur de reconnaître (quand même) que les téléfilms sont, « en tant que science-fiction télévisée, bien au-dessus de la norme… C’est une tentative à gros budget de faire de la science-fiction sérieuse ».

Les vaisseaux spatiaux existent au moins depuis le « crash » de Roswell en 1947. Les extraterrestres, on en a déjà vu des jaunes, des verts, des méchants et des gentils. Des invasions de la Terre? Demandez à David Vincent (Les Envahisseurs) s’il ne connaît pas! Il suffit de feuilleter les romans S-F pour comprendre qu’effectivement V n’a rien inventé.

Mais V synthétise et le fait en rendant hommage. Le lendemain de l’arrivée des vaisseaux dans l’orbite terrestre, Julie fait le point pour Denny, son compagnon. Elle dit: « Ray Bradbury est passé à la télé avec Arthur Clarke, ils n’ont fait qu’émettre des hypothèses. En gros, personne ne sait ce qu’il faut croire ». Au moment où les Visiteurs commencent leur collaboration à l’usine du père Donovan, la fanfare joue le thème de Star Wars. Ces clins d’yeux en ont certainement amusé plus d’un.

Avec le recul des années, on se rend compte que V a repris des éléments célèbres de science-fiction pour les assembler, mais V a surtout constitué une étape importante de la science-fiction, si pas en général, au moins pour la télévision. Il n’y a qu’à regarder Independence Day pour comprendre à quel point la série a marqué. Le film rend lui aussi de multiples hommages à ses prédécesseurs et il est de renommée publique que la scène d’arrivée des extraterrestres dans ce film est directement inspirée de celle des Visiteurs.

Je parie que si on demandait à un panel de gens les images de S-F qui les ont le plus marqué, les yeux reptiliens, la peau d’Elizabeth qui se décroche de son bras, le maquillage des Visiteurs qui se déchire, les scènes où ils se nourrissent ou celles où Elizabeth se mue en jeune fille seraient parmi celles citées.

Et des effets spéciaux de qualité sont indispensables à la création de ces images. Pour les deux premiers téléfilms, ils sont tout simplement extraordinaires. Les images de l’arrivée des vaisseaux et leur station au-dessus des villes du monde entier sont à couper le souffle. Surtout quand on replace la série dans le contexte des années ’80.

Les effets ont été supervisés par la Pacific Title. Greg Jein s’est occupé des modèles réduits des navettes. Il avait auparavant travaillé sur Dark Star, Flash Gordon ou Rencontres Du Troisième Type. Matthew Yuricich était le dessinateur du vaisseau-mère transformé en maquette par Pat Johnson. La compagnie Coast Effects est la conceptrice de la navette qui emmène le commandant suprême sur le toit des Nations Unies. La société DreamQuest orchestra les combats aériens. La plupart des effets spéciaux de ce type ont été commandés pour les deux mini-séries et seront réutilisés pour la série hebdomadaire (elle sera réalisé à petit budget).

En ce qui concerne les vaisseaux, c’est également l’intérieur qui remporta des éloges: les hangars, les portes coulissantes, les appartements, les réserves de nourritures et d’eau que Donovan visite avec Martin. Le travail des décorateurs est aussi remarquable. Ils ont réussi à créer un univers cohérent, à donner l’impression d’une civilisation qui existe et fonctionne depuis des centaines d’années. Pourtant, rien de baroque, de rococo, mais un minimalisme pertinent.

Les maquillages ont été réalisés par Leo Lotito fort de son expérience sur La Planète Des Singes. Il a crée les visages reptiliens des visiteurs. Deux heures étaient nécessaires pour transformer un acteur en Visiteur. L’une des scènes les plus compliquées qu’il ait eu à gérer est située dans le premier téléfilm. Il s’agit de celle où on voit Diana manger pour la première fois un rongeur. Contrairement à toutes les autres scènes du genre, sa bouche se détend ainsi que son cou. Une tête hydraulique actionnée mécaniquement et une prothèse commandée à distance ont été nécessaire pour créer cette scène. Les deux prises de vues différentes (celle avec la « poupée » et celle avec Jane Badler maquillée) ont été mêlées dans le montage final.

Mais cela ne suffit pas à tailler une légende. Or V est devenu une légende et, bien mieux, V n’a pas pris une ride au contraire de certaines productions qui sont pénibles à revoir de nos jours. À des effets spéciaux minutieux, à une intrigue de science-fiction classique mais rondement menée, il faut ajouter la description de mœurs. Si le récit se déroule sur le mode du « et si… », V nous montre l’ingéniosité des Visiteurs à prendre le pouvoir (contrôler les informations, mener une propagande), nous en avons déjà parlé. Elle examine également les manières dont les gens réagissent à tout cela.

Devant l’arrivée des vaisseau et quand les Visiteurs se dévoilent, certains ont peur, certains sont fascinés, certains fuient, certains sont dubitatifs, certains sont naïfs. Quand les extraterrestres installent la loi martiale, certains collaborent plus ou moins perversement, certains y voient un intérêt financier, certains se cachent, certains voudraient que tout redevienne comme avant, certains se souviennent de la guerre et voient clair dans le jeu des Visiteurs, certains se battent.

Si Kenneth Johnson ne trouve pas d’excuse à la traîtrise, à la bêtise, à l’avarice, il a l’intelligence de dépeindre des personnages complexes. Daniel est un jeune collabo prétentieux… Mais il est complètement perdu (notamment dans sa vie professionnelle), il est aussi rejeté de Robin. Julie est un leader de la Résistance, mais elle n’a pas voulu cette place. Elle ne se sent pas prête et pas compétente, elle est extrêmement fragile par moment. Donovan est le héros de service, mais la quête de son fils passe avant tout bel idéal au risque de mettre les autres en danger.

Enfin, la fiction dépeint merveilleusement bien le fonctionnement médiatique de notre société et surtout ses faiblesses: la facilité avec laquelle il peut être manipulé et utilisé à des fins politiques. Le dossier développé par le numéro 4 d’Arrêt Sur Séries explore d’ailleurs ce sujet d’une manière exemplaire. J’en conseille vivement la lecture (soit dit en passant, il décortique également la première demi-heure du premier épisode).

Autres forces de la série

La plausibilité du scénario en fait un produit « grand public ». Tout d’abord, V a su jouer avec le genre compliqué de la science-fiction. La plupart du temps, l’audimat d’une série de ce type est bas parce qu’il faut être initié pour suivre. Ne citons que X-Files qui est devenue au fil des saisons impossible à regarder et à comprendre pour un non-initié.

La science-fiction fonctionne, en effet, beaucoup sur des non-dits, des éléments censées connus. Personne, par exemple, n’a jamais expliqué ce qu’était l’hyperespace (aucune explication scientifique ne tiendrait d’ailleurs la route), tout les amateurs savent ce que c’est! Oui, ben imaginez la tête d’un débutant (non, mais un vrai débutant) qui tombe au beau milieu de Stargate SG-1 ou Babylon V!!! V relève d’une science-fiction de bon niveau (du moins au début), mais a réussi à rallier un large public. Peut-être parce qu’elle se passe sur Terre. Elle ne bouscule donc pas brusquement tous les repères d’un auditeur moyen même si cela se fait petit à petit.

On peut aussi avancer que le succès de la série n’est pas étranger à son concepteur Kenneth Johnson. Il est loin d’être un débutant ou un incapable. Dès 25 ans, il produit et réalise l’émission Mike Douglas Show qui fut récompensée par deux Emmy Awards. Il a travaillé aussi sur les scénarios des séries Adam 12, L’Homme Qui Valait 3 Milliards et Super Jamie. Il est également le papa de L’Incroyable Hulk version TV. Après un petit détour vers le long métrage, il s’est attaqué à V qui reste son chef-d’œuvre. Depuis, il nous a notamment concocté Short Circuit 2 (Appelez-moi Johnny 5), son meilleur film. Ce n’est donc pas un manchot.

Mais le plus incontestable point fort de la série réside dans la multiplicité des messages qu’on peut y trouver. Pour beaucoup, au-delà du récit de S-F, V est la description des réactions humaines face à un occupant. Il est donc très facile de faire le lien avec l’événement le plus marquant que le siècle dernier a connu: la seconde guerre mondiale.

Notons que c’est la première fois qu’une série s’attaque à ce thème alors que la littérature S-F l’a déjà beaucoup abordé. Le lien avec la seconde guerre mondiale est d’ailleurs explicite. Kenneth Johnson ne s’en cachait pas, je vous renvoie à l’interview parue dans L’Ecran Fantastique de juin 1983 et citée en début de dossier. Beaucoup de personnes ont déjà parlé de cet aspect de la fiction, nous vous renvoyons à leurs travaux, notamment le numéro 4 d’Arrêt Sur Séries et le Guide Du Téléfan de Francis Valéry. Nous n’explorerons que rapidement leurs thèses.

Bon nombre d’éléments rattachent plus ou moins explicitement les Visiteurs au troisième Reich. L’emblème des visiteurs ressemble à une Svastika dextrogyre stylisée, leurs uniformes ont été conçus à partir de celui des nazis (casques et bottes), leurs pistolets laser est un Luger revu et corrigé. Leur système hiérarchique est également semblable à celui de l’Allemagne nazie. L’Etat est dirigé par un « leader », ce qu’on peut traduire par « chef » ou « führer » en allemand.

L’armée occupante se fait aider par une police collaboratrice comme celle de Vichy. Ils s’allient également des milices de jeunes sympathisants comme la jeunesse hitlérienne (Sean Donovan en fait d’ailleurs partie). Une comparaison entre les humains et les juifs peut aussi être établie: les visiteurs traquent les scientifiques pour les éliminer, ils font disparaître les dossiers scientifiques comme les Allemands brûlaient les livres. Enfin, les visiteurs ne considèrent les humains que comme des composants organiques (leur garde-manger), tout comme les nazis gardaient les cheveux, les dents, la peau,… des juifs.

Francis Valery voit également dans cette série une métaphore de l’impérialisme américain sur les voisins latino-américains. Cette allusion est évidemment plus diffuse que celle à la seconde guerre mondiale. Il se base sur la séquence d’ouverture de la mini-série pour élaborer cette analyse. Elle représente un village du Salvador tenu par la guérilla où Donovan interviewe le chef des insurgés. Tout à coup, un hélicoptère non identifié mais piloté par des blancs fait irruption et ouvre le feu. Le chef fait face courageusement, tire et descend l’engin.

Cette scène se répète en partie dans le dernier plan de la mini-série. Les visiteurs attaquent le camp de la résistance et Diana bombarde la place. Julie fait face tout comme le chef du Salvador et tire sur l’appareil. Malheureusement, elle n’a aucune chance contre la technologie extraterrestre. Elle est sauvée par l’arrivée de Donovan aux commandes d’une autre navette. Le rapprochement semble presque explicite entre la guérilla et la Résistance. Auquel cas, il s’agirait d’une véritable critique de la politique américaine en Amérique Latine. Francis Valery est le premier a avoir tenté ce genre d’interprétation. Il l’explique par le fait que la plupart des commentateurs sont, en général, américains et n’ont donc pas assez de recul face à leur propre pays.

Une interprétation plus mystique est également possible. Francis Valery ose un parallèle entre Elizabeth et le Christ. En effet, elle est née d’une femme vierge de la Terre et d’un être d’une autre essence. Cependant, comme elle est une fille, elle est une image inversée du christ d’autant plus que sa mère a été fécondée par un « démon » (les visiteurs sont des reptiles comme le serpent tentateur de la Bible). Malgré cette inversion, nous ne pouvons pas dire qu’elle est l’Antéchrist car le mal qu’elle aurait pu représenter est mort avec son jumeau. Celui-ci était un lézard, donc un démon, et sa mort l’a lavée de tout soupçon.

Purifiée, elle devient donc un symbole de paix pour les humains. Mais pour les visiteurs aussi, elle représente quelque chose de positif. En effet, ils voient en elle l’enfant stellaire qu’attendaient les disciples de Zon (un principe positif de l’univers lézardien qui ressemble à la Force de Star Wars). Par-là, un autre parallèle peut être fait avec le Christ car lui aussi était un prophète de paix et surtout car ses disciples furent traqués par Rome tout comme les disciples de Zon le sont par le Leader. Enfin, Elisabeth connaît, elle aussi, une métaphore de mort et de résurrection. Elle passe de 8 à 16 ans dans la caverne et quand elle ressort personne ne la reconnaît.

En quelques mots...

Sarah Sepulchre

V

Série de science fiction aux images fortes. Impossible d'oublier la mue d'Elizabeth dans la grotte aux serpents, les peaux que les aliens s'arrachent, les souris qu'ils gobent, et tout les trucs dégueux qu'ils faisaient. A voir!

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Dossiers Séries

V

Le Podcast

Intervenants: Sarah Sepulchre et Alexandre Marlier.

Durée: 20’06 min.

La Fiche Série

Titre Original:
V/V : The Final Battle/V
Durée:
19 épisodes de 42 minutes, soit 1 saison + une mini-série de 2 épisodes de 90 minutes, suivie d’une seconde mini-série de 3 épisodes de 90 minutes
Pays d’origine:
USA
Chaîne(s) de 1ère diffusion:
NBC
Période(s) de diffusion:
Du 1er mai 1983 au 22 mars 1985.
Genres:
Science-Fiction
Créé par:
Kenneth Johnson
Produit par:
Kenneth Johnson Productions, Warner Bros. Television
Marc Singer:
Mike Donovan
Faye Grant:
Julie Parrish
Jane Badler:
Diana
Michael Durrell:
Robert Maxwell
Blair Tefkin:
Robin Maxwell
Peter Nelson:
Brian
David Packer:
Daniel Bernstein
Robert Englund:
Willie

Bibliographie

  • Génération Séries, n°14, été 95.
  • VALERY, Francis, V, L’autre guerre des mondes, Car rien n’a d’importance éditions… (coll. Le guide du Téléfan) 1993.

Crédits Photos:
Kenneth Johnson ProductionsWarner Bros. Television

Sarah Sepulchre

Sarah Sepulchre est professeure à l’Université de Louvain (UCL, Belgique). Ses recherches portent sur les médias, les fictions, les cultures populaires, les gender studies et particulièrement sur les représentations, les liens entre réalité et fiction. Sa thèse de doctorat était centrée sur les personnages de séries télévisées.
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